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Cette terre de discipline et de penseurs<br />
(Genève aurait eu vite fait de l’étouffer)<br />
Des Ombres, placé second dans le Top 2 mélissien avait eu, on doit le souligner,<br />
de bons rapports avec l’Allemagne. Cette terre de discipline et de penseurs lui<br />
avait apporté à maintes reprises le savoir, les moyens et l’énergie nécessaires<br />
pour lutter contre la torpeur genevoise.<br />
Devenir compositeur n’est jamais évident. Il était tombé dans la lumière de<br />
Chopin et de Beethoven au bord du lac d’Annecy ? Certes, mais Genève aurait<br />
eu vite fait de l’étouffer. Cette cité ambiguë possédait un grand souffle spirituel<br />
mais également une chape d’ombre qui jouait le rôle d’éteignoir.<br />
Quand il déclara à ses parents, un père artiste magnifique qui construisait des<br />
églises et ignorait l’avidité de ce monde, une mère d’origine italienne lui dispensant<br />
tant d’amour qu’elle lui donna, in fine, une immense sécurité personnelle mais<br />
aussi, femme toujours inquiète pour les siens, un sens de l’honneur du clan et de la<br />
responsabilité qui ne lui facilita pas toujours la vie. Quand il leur déclara vouloir<br />
devenir compositeur ils furent fort embarrassés. Non point qu’ils l’eussent voulu<br />
avocat ou pire encore notaire, banquier ou commerçant, dans sa famille on vivait<br />
une certaine aristocratie de la pensée et du sentiment et l’on ne parlait jamais<br />
d’argent, mais bien en ce qu’ils prirent peur de le voir sans travail et sans destin<br />
dans une ville qui ne générait pas trop de musiciens de génie, tant s’en faut. On<br />
transigea sur la Faculté des <strong>Le</strong>ttres, sur le conseil du Directeur du Conservatoire<br />
qui était en ce temps-là, un fort honnête homme 67 . <strong>Le</strong>s parents pensèrent qu’au<br />
pire il pourrait enseigner et le jeune homme se dit qu’il s’amuserait beaucoup à<br />
l’Université. Il y avait autre chose, nourri dès son enfance de littérature classique<br />
il avait le secret désir d’écrire mais n’osait pas. Une Mélissa de passage lui auraitelle<br />
dévoilé l’existence de ses futurs romans qu’il en eut été ravi mais totalement<br />
incrédule. Il ne se pensait bon qu’à écrire des partitions et, peut-être, un jour,<br />
qui sait ? diriger un orchestre. Il vécut ainsi quelques années dans la Faculté<br />
et, le facteur chance aidant, il eut les meilleurs enseignants, Marcel Raymond,<br />
Jean Rousset et le jeune Starobinski. Il tomba amoureux fou d’une beauté locale<br />
que son meilleur ami venait de mettre sous scellés et rédigea quelques textes<br />
jugés trop originaux, comme par exemple de définir avec des mots la couleur<br />
des tonalités harmoniques. Si mineur est-il blanc, ré majeur nuancé de vert et fa<br />
67 Samuel Baud Bovy, musicologue et chef d’orchestre<br />
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