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diriger l’Orchestre Philharmonique de Stuttgart, qu’il avait rencontré deux ans<br />
plus tôt dans des circonstances aventureuses.<br />
Je m’assurai que personne ne m’observait et tapotai un code personal tune up<br />
sur mon FT. C’était efficace. Je cessai aussitôt d’exister.<br />
J’ai regardé l’orchestre avec intensité. Cet ensemble de personnalités<br />
très diverses allait dans quelques instants se changer en machine<br />
à Genèse. Car c’est cela l’impression du chef quand il donne la<br />
première impulsion : un monde naît. C’est un sentiment démiurgique<br />
auquel il ne faut pas se laisser aller, on reste responsable de cette<br />
création. Il y a des partitions plus ou moins impressionnantes à cet<br />
égard mais très souvent c’est la naissance d’un univers qui se produit.<br />
Comment concilier la technique et la passion, maîtriser ses craintes,<br />
trouver le temps juste, toujours être en avant des musiciens et garder<br />
en mémoire le plan de travail qu’on a élaboré pour la répétition ?<br />
Impensable ! C’est ce que je m’apprête à faire. Pour gagner du<br />
temps, il me reste cinq minutes avant le début de la répétition, je<br />
vais donner quelques indications aux instrumentistes. Mon premier<br />
violon est un homme posé, cheveux gris, prestance, amabilité, c’est<br />
mon meilleur allié. Ici en Allemagne le KonzertMeister représente<br />
l’autorité de l’orchestre, face aux syndicats parfois. Il est respecté.<br />
Herr Bee, c’est son nom, est conservateur comme tous les musiciens<br />
d’archets. Mais il a désir de comprendre la partition et d’entraîner<br />
les autres avec lui. Un premier ministre bienveillant et talentueux.<br />
J’arrive de Genève avec une nouvelle œuvre, <strong>Le</strong>s profondeurs de<br />
la Terre. Je vois les musiciens parcourir les pages de leur matériel,<br />
soucieux de savoir s’ils vont y trouver des difficultés particulières.<br />
Il est temps, je monte sur le podium du chef, salue l’orchestre et<br />
entreprends la cérémonie préalable de l’accordage. C’est avec Boulez<br />
que j’ai pris l’habitude de ne pas laisser les orchestres s’accorder en<br />
vrac, ce qui est trop courant chez les Latins. <strong>Le</strong>s cordes doivent faire<br />
tranquillement leurs quintes, sur le “la” du hautbois. Je laisse les<br />
bois s’accorder, puis les cuivres et enfin les cordes, par groupes. Ils<br />
se sentent beaucoup plus à l’aise ainsi mais à Genève j’ai eu les pires<br />
difficultés à imposer cette manière de faire, face à des individualistes<br />
ou simplement à quelques meneurs grossiers. Maintenant c’est bien,<br />
le temps est venu, je ne peux plus reculer, je lève le bras et les archets<br />
se préparent, j’aime voir cette forêt de bois apparaître, chacun est<br />
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