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LA DAME DE PIQUE<br />
VI<br />
– Atten<strong>de</strong>z.<br />
– Comment avez-vous osé me dire « atten<strong>de</strong>z » ?<br />
– Votre Excel<strong>le</strong>nce, j’ai dit « veuil<strong>le</strong>z attendre ».<br />
Deux idées fixes ne peuvent exister à la fois dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />
moral, <strong>de</strong> même que dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> physique <strong>de</strong>ux corps ne<br />
peuvent occuper à la fois la même place. Tr o i s-sept-as effacèrent<br />
bientôt dans l’imagination <strong>de</strong> Hermann l’image <strong>de</strong> feu la<br />
vieil<strong>le</strong> comtesse. Tr o i s-sept-as ne lui sortaient plus <strong>de</strong> la tête<br />
et venaient à chaque instant sur ses lèvres. Rencontrait-il une<br />
jeune personne dans la rue : « Quel<strong>le</strong> jolie tail<strong>le</strong> ! disait-il ; el<strong>le</strong><br />
ressemb<strong>le</strong> à un trois <strong>de</strong> cœur. » On lui <strong>de</strong>mandait l’heure ; il<br />
répondait : « Sept <strong>de</strong> carreau moins un quart. » Tout gros<br />
homme qu’il voyait lui rappelait un as. Tr o i s-sept-as <strong>le</strong> suivaient<br />
en songe, et lui apparaissaient sous maintes formes<br />
étranges. Il voyait <strong>de</strong>s trois s’épanouir comme <strong>de</strong>s m a g n o l i a<br />
g r a n d i fl o r a . Des sept s’ouvraient en portes gothiques ; <strong>de</strong>s as<br />
se montraient suspendus comme <strong>de</strong>s araignées monstrueuses.<br />
Toutes ses pensées se concentraient vers un seul but : comment<br />
mettre à profit ce secret si chèrement acheté ? Il songeait<br />
à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un congé pour voyager. À Paris, se disait-il,<br />
il découvrirait quelque maison <strong>de</strong> jeu où il ferait en trois<br />
coups sa fortune. Le hasard <strong>le</strong> tira bientôt d’embarras.<br />
Il y avait à Moscou une société <strong>de</strong> joueurs riches, sous la<br />
prési<strong>de</strong>nce du célèbre Tc h e kalinski, qui avait passé toute sa vie<br />
à jouer, et qui avait amassé <strong>de</strong>s millions, car il gagnait <strong>de</strong>s<br />
bil<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> banque et ne perdait que <strong>de</strong> l’argent blanc. Sa maison<br />
magnifique, sa cuisine excel<strong>le</strong>nte, ses manières ouvertes, lui<br />
avaient fait <strong>de</strong> nombreux amis et lui attiraient la considération<br />
généra<strong>le</strong>. Il vint à Pétersbourg. Aussitôt la jeunesse accourut<br />
dans ses salons, oubliant <strong>le</strong>s bals pour <strong>le</strong>s soirées <strong>de</strong> jeu et préférant<br />
<strong>le</strong>s émotions du tapis vert aux séductions <strong>de</strong> la coquetterie.<br />
Hermann fut conduit chez Tc h e kalinski par Naroumof.<br />
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