Luxembourg - Entreprises magazine
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Bon à savoir<br />
Propos insultants<br />
Limite à la liberté d’expression<br />
La délégation du personnel a pour mission générale de sauvegarder et de défendre les intérêts<br />
du personnel salarié d’une société en matière de conditions de travail, de sécurité de l’emploi<br />
et de statut social (1) . Or, une telle mission peut parfois conduire le délégué à s’opposer à son<br />
employeur, de sorte que le Code du travail offre aux délégués du personnel une certaine protection<br />
contre le licenciement.<br />
Ainsi, l’article L.415-11 (1) du Code du<br />
travail dispose : « Pendant la durée<br />
de leur mandat, les membres titulaires<br />
et suppléants des différentes<br />
délégations du personnel.../… ne<br />
peuvent être licencié-e-s ». Cependant,<br />
cette protection ne saurait<br />
être absolue et le second alinéa<br />
de ce même article ajoute immédiatement<br />
: « Toutefois, en cas de<br />
faute grave, le chef d’entreprise<br />
a la faculté de prononcer la mise<br />
à pied immédiate de l’intéressé<br />
en attendant la décision définitive<br />
de la juridiction du travail sur sa<br />
demande en résolution du contrat<br />
de travail ». Ainsi, si l’employeur<br />
ne peut prononcer le licenciement<br />
d’un délégué du personnel, il peut<br />
demander en justice la résolution<br />
du contrat, après mise à pied immédiate<br />
du délégué en cas de faute<br />
grave.<br />
Mais dans quelles limites des<br />
propos tenus par un délégué constituent-ils<br />
un acte de sauvegarde et<br />
de défense des salariés ? A partir<br />
de quel moment ces mêmes propos<br />
constituent-ils une faute grave<br />
rendant impossible, et de manière<br />
irrévocable, le maintien du salarié<br />
dans l’entreprise ?<br />
Une décision rendue par la<br />
justice de paix d' Esch-sur-Alzette<br />
du 1 er juin 2007 avait rappelé que<br />
« les activités accomplies par le<br />
salarié protégé peuvent constituer<br />
une faute de nature à justifier<br />
sa mise à pied conservatoire,<br />
lorsqu’elles traduisent de sa part<br />
un exercice anormal du mandat<br />
ou de ses fonctions ». Il avait alors<br />
été relevé que « si en sa qualité<br />
de délégué du personnel, il fait<br />
partie des devoirs du requérant<br />
de dénoncer d’éventuels dysfonctionnements<br />
et irrégularités au sein<br />
de l’entreprise et d’en discuter lors<br />
d’une réunion des membres de la<br />
délégation, force est de constater<br />
que le document rédigé par C.<br />
présente un caractère manifestement<br />
excessif et injurieux…/… Les<br />
imputations graves formulées par<br />
C. à l’égard des dirigeants de X.,<br />
au sujet non seulement de leur vie<br />
professionnelle, mais également<br />
de leur vie privée, dépassent les<br />
limites tant de la liberté d’action du<br />
salarié-délégué que de la liberté<br />
d’expression ». En conséquence,<br />
la mise a pied avait été considérée<br />
comme justifiée.<br />
A l’appréciation des juges<br />
Une nouvelle décision de la cour<br />
d’appel du 16 décembre 2012 vient<br />
rappeler les limites de la liberté<br />
d’expression du délégué-salarié.<br />
Dans cette affaire, le tribunal du<br />
travail avait considéré que les<br />
message envoyés par le salarié<br />
à l’employeur manifestaient son<br />
mécontentement, mais ne constituaient<br />
pas des propos outrageants,<br />
diffamatoires ou insultants. Le tribunal<br />
en avait donc déduit que le<br />
salarié n’avait pas réagi en dehors<br />
des limites de liberté d’action et<br />
d’expression d’un délégué-salarié.<br />
Toutefois, la cour d’appel a<br />
eu une tout autre analye, puisqu’à la<br />
lecture des messages adressés par<br />
le salarié à sa hiérarchie, elle a considéré<br />
que celui-ci avait dépassé non<br />
seulement les limites de sa liberté<br />
d’expression, mais encore celles de<br />
sa liberté d’action en tant que délégué-salarié.<br />
Ainsi, la cour a retenu<br />
que le salarié n’avait pas seulement<br />
exprimé son mécontentement à<br />
l’égard du comportement de ses<br />
supérieurs hiérarchiques auxquels il<br />
reproche un manquement de courtoisie<br />
à l’égard du personnel, mais<br />
qu’en s’exprimant dans les termes<br />
suivants : « Hello, pourrais-tu trouver<br />
une formation le plus rapidement<br />
possible pour apprendre la politesse<br />
à notre direction. Adresse-toi à la<br />
maternelle de Schifflange, je pense<br />
que ce sera de leur niveau. N’oublie<br />
pas MM. F et G. Merci. P.S. si tu<br />
veux on fait une collecte pour leur<br />
payer. Amen », le salarié a eu des<br />
propos qu’il convient de qualifier<br />
d’insultants à l’égard des supérieurs<br />
hiérarchiques, lesquels traduisent<br />
un manque de respect flagrant à<br />
leur égard. En conséquence, la mise<br />
à pied a été maintenue.<br />
En tout état de cause, il est<br />
important de relever que cette<br />
question fait l’objet d’une appréciation<br />
souveraine des juges qui<br />
apprécient les propos dans chaque<br />
cas d’espèce… et qu’un mandat ne<br />
protège pas contre tout. <br />
M e Céline Lelièvre<br />
Avocat à la Cour<br />
Associée<br />
M e Thomas Alberti<br />
Avocat<br />
Collaborateur<br />
DCL Avocats<br />
(1) Article L.414-1 du Code du travail.<br />
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