MÉTIERATELIERLANGAGELangagede l’éco<strong>le</strong>Favoriser la réussitePour Anne Armand, la langue de l’éco<strong>le</strong>, qui participe pourtant de la réussite scolaire, estcel<strong>le</strong> qui est employée partout en classe et qu’un élève n’apprend jamais. Qu’est-ce qui laconstitue, dès l’entrée à l’éco<strong>le</strong>, encore plus à l’entrée au collège ? En quoi <strong>le</strong>s élèves del’éducation prioritaire sont-ils plus que <strong>le</strong>s autres mis en difficulté par cette langue de l’éco<strong>le</strong> ?Les analyses, <strong>le</strong>s solutions possib<strong>le</strong>s dépassent de loin l’enseignement du français.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201220q Lever <strong>le</strong>s ma<strong>le</strong>ntendusAnne Armand reprendl’exemp<strong>le</strong> de Stéphane Bonnéry,dans son livre « Comprendrel’échec scolaire,élèves en difficultés et dispositifspédagogiques » (La Dispute, 2007) . Ils’agit d’une réf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> ces « ma<strong>le</strong>ntendus» qui peuvent amener <strong>le</strong>s élèves àrenoncer progessivement aux apprentissagesscolaires, mais en construisant desmécanismes de protection de <strong>le</strong>ur estimed’eux-même qui <strong>le</strong>s mettent progressivementen révolte contre une institution qui<strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong> jouer doub<strong>le</strong> jeu. La classe deMohamed apprend avec <strong>le</strong> maître à colorierune carte de géographie pour différencierpar des cou<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s différentes altitudes.Mohamed est sérieux, il s’applique. Lemaître propose un exercice d’évaluationquelques jours plus tard, puis rend <strong>le</strong>sdevoirs. Mohamed a une mauvaise note, i<strong>le</strong>st furieux. Stéphane Bonnéry <strong>le</strong> fait par<strong>le</strong>rde ce devoir. Mohamed est persuadé queceux qui ont eu une bonne note ont triché,ils avaient connaissance de la carte à colorier.Stéphane Bonnéry me<strong>sur</strong>e peu à peuce que Mohamed n’a pas compris dans <strong>le</strong>travail réalisé : il ne s’était pas demandé ceque serait l’exercice d’évaluation. Ou <strong>le</strong>maître n’a pas suffisamment « expliqué » cequ’il attendait de l’évaluation... Et Mohamed,confronté à une nouvel<strong>le</strong> carte, n’a pasété capab<strong>le</strong> de faire <strong>le</strong> travail demandé.D’où son idée que ceux qui ont réussiavaient connaissance du devoir, d’où savision d’une éco<strong>le</strong> injuste, d’où <strong>le</strong> risque aufil des mois, de construire la certitude qu’ilne réussira de toute façon pas à l’éco<strong>le</strong>puisqu’il ne fait pas partie des initiés.
« Le langage des opérations menta<strong>le</strong>sde l’éco<strong>le</strong> pour tous ! »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Qu’est-ce que la langue del’éco<strong>le</strong> ?A. A. En juin 2010, présentant <strong>le</strong>bilan de la politique RAR, je faisaisdeux constats : c’est par laréf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> la construction desapprentissages que nous répondronsaux difficultés de compréhensiondes élèves. L’articulationentre premier et second degrén’est pas assez travaillée. L’éco<strong>le</strong>est <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong> langage sert àinterroger un monde qui n’est paslà, où on utilise <strong>le</strong> langage defaçon continuel<strong>le</strong> et essentiel<strong>le</strong>comme vecteur de l’apprentissage,où <strong>le</strong> langage institue l’élève(à l’extérieur, il est un enfant, àl’éco<strong>le</strong>, il est un élève).Pourquoi ce langage del’éco<strong>le</strong> met <strong>le</strong>s élèves del’éducation prioritaire endifficulté ?A. A. À la maison, on ne <strong>le</strong>ur explicitepas <strong>le</strong> sens global de l’éco<strong>le</strong>.Très souvent, <strong>le</strong> langage sert àdésigner simp<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> mondeprésent, à donner un ordre ou àcontester cette injonction. Et <strong>le</strong>séchanges peuvent s’arrêter làentre des parents et <strong>le</strong>urs enfants.Leur pose-t-on des questionspour <strong>le</strong>ur faire dire <strong>le</strong>s apprentissagescomme « Qu’as-tu fait àl’éco<strong>le</strong> aujourd’hui ? Pourquoias-tu eu tel<strong>le</strong> note ? » À la maison,<strong>le</strong>s mots servent à tisser un lienentre <strong>le</strong>s différents moments dutemps, entre <strong>le</strong>s différentsmoments de l’éco<strong>le</strong>, entre <strong>le</strong>s différentsapprentissages. Alorsl’élève qui est privé de ces interactionsverba<strong>le</strong>s avec son entourageest aussi celui qui par<strong>le</strong> uniquementaux copains de la Cité : ilsconnaissent <strong>le</strong>s mêmes lieux,regardent <strong>le</strong>s mêmes émissions,écoutent <strong>le</strong>s mêmes chansons,vivent <strong>le</strong> même rejet de l’éco<strong>le</strong>.Pouvez-vous donner unexemp<strong>le</strong> d’un mot essentielde l’éco<strong>le</strong> ?A. A. Expliquer. Ce verbe, constantAnne ArmandAnne Armand, agrégée de <strong>le</strong>ttres classiques en collège et en lycéedevient inspectrice généra<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ttres et spécialiste des questions liéesà l’éducation prioritaire. El<strong>le</strong> a publié dans <strong>le</strong>s Cahiers Pédagogiques en2012 « Adaptation des enseignants et des enseignements aux élèves del’éducation prioritaire » et en 2011 « Faire du français sans exclure » ;dans la Revue Diversité « Du bon usage de l’évaluation en éducationprioritaire » et el<strong>le</strong> a écrit <strong>le</strong> rapport de l’inspection généra<strong>le</strong> en 2006<strong>sur</strong> « La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances ».dans <strong>le</strong> langage de l’éco<strong>le</strong>, quelsens a-t-il ? Quand je demanded’expliquer ce qu’est une bissectrice,je demande de faire quoi ?De donner <strong>le</strong> sens du mot. Deréciter exactement la définitionmathématique, avec <strong>le</strong>s mots decette définition et non avec <strong>le</strong>smiens. Quand je demande à unélève d’expliquer <strong>le</strong>s raisons deson retard, je lui demande de fairequoi ? De trouver des causes … àce qui n’en a peut-être pas.Quand je lui demande d’expliquerpourquoi il n’a pas fait son travail,je lui demande de faire quoi ? Deretrouver <strong>le</strong> lien chronologiquequi aurait dû exister entre <strong>le</strong> <strong>cours</strong>qui a eu lieu tel jour passé, <strong>le</strong> travailqui a été demandé à la suitede ce <strong>cours</strong>, l’organisation d’untemps de travail hors scolaire,avoir noté <strong>le</strong> travail à faire dansson agenda, avoir consulté sonagenda. Quand je lui demanded’expliquer ce qu’il n’a pas comprisdans la <strong>le</strong>çon, je lui demandede faire quoi ? De reprendre (demémoire) <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment d’un<strong>cours</strong> (long, abstrait, varié) pouridentifier un point particulier,nœud de la difficulté (c’est <strong>le</strong>propre d’une compétence didactiqueet pédagogique, donc d’unecompétence professionnel<strong>le</strong> del’enseignant et non de l’élève). I<strong>le</strong>st important pour l’enseignantde réfléchir au sens précis du mot« expliquer » et d’avoir conscienceà chaque fois de l’implicite de laquestion qu’il pose.Quels dispositifs voussemb<strong>le</strong>nt opérationnelspour apprendre <strong>le</strong> langagede l’éco<strong>le</strong> ?A. A. Les plus simp<strong>le</strong>s, comme cetexemp<strong>le</strong> : Je suis professeur de« Déc<strong>le</strong>ncher desprocessus de récit,d’explication,d’argumentation »français, j’accueil<strong>le</strong> ma classe(une partie de ma classe, <strong>le</strong>sélèves en difficulté langagière)qui sort du <strong>cours</strong> de SVT. C’estavec moi qu’ils vont rédiger <strong>le</strong>compte-rendu de l’observationfaite en SVT. Or je n’y étais pas :voilà <strong>le</strong> plus beau dispositif, et <strong>le</strong>moins coûteux ! Les élèvesdoivent me raconter, et doncd’abord organiser <strong>le</strong>ur récit dans<strong>le</strong> bon ordre et réfléchir avec moià ce que doit comporter <strong>le</strong>compte-rendu. C’est <strong>le</strong> cœur dumétier d’enseignant, apprendreaux élèves comment fonctionnent<strong>le</strong>s opérations de l’éco<strong>le</strong>et comment el<strong>le</strong>s se disent dans<strong>le</strong>s mots de l’éco<strong>le</strong>. Je peux pratiquercet exercice de constructiond’une connaissance dans undomaine que j’ignore parce queje n’ai pas peur de ne pas savoir,parce que je sais commentsavoir : demander <strong>le</strong> cahier, <strong>le</strong>livre, relire, refaire un exercice,comparer l’exercice fait en classeet celui à faire seul, demanderune explication. Je dois <strong>le</strong> pratiqueravec l’élève pour qu’ilapprenne lui-même à construirecette connaissance avec sesmots (faire l’essai, questionner,demander de l’aide, reprendre,recopier) et avec <strong>le</strong>s mots de ladiscipline. Les enseignantsdoivent être conscients qu’apprendreet faire apprendre, c’estcréer du lien entre <strong>le</strong>s différents<strong>cours</strong>, <strong>le</strong>s mots de ces différents<strong>cours</strong>, ceux du langage des opérationsmenta<strong>le</strong>s de l’éco<strong>le</strong>. Onpeut penser qu’un élève qui acompris pourquoi on apprend àl’éco<strong>le</strong>, qui apprend à dire sesapprentissages avec <strong>le</strong>s mots del’éco<strong>le</strong>, aura <strong>le</strong>s moyens d’y réussir.Propos recueillis par Ginette Bret21MÉTIER