MÉTIERATELIERHANDICAPHandicapUne loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travai<strong>le</strong>nseignantFrédéric Grimaud, professeur des éco<strong>le</strong>s spécialisé, a conduit une recherche en ergonomieauprès de professeurs des éco<strong>le</strong>s scolarisant des élèves en situation de handicap dans <strong>le</strong> cadred’un doctorat en sciences de l’éducation. La recherche a permis de poser une loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travai<strong>le</strong>nseignant, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s désorganisations et réorganisations de <strong>le</strong>ur activité. El<strong>le</strong> ouvre maintenantdes pistes de discussions <strong>sur</strong> la santé au travail et un chantier prometteur pour <strong>le</strong>s chercheurscomme pour <strong>le</strong>s syndicalistes soucieux de reprendre la main <strong>sur</strong> <strong>le</strong> métier enseignant.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201212q Rester efficace, malgré tout...but de mon métier ?Donner aux élèvesen difficulté bienêtreet apprentis-«Lesages ». C’est ainsique se définit Karine Darriet, enseignanteet directrice d’une petite éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>de deux classes à Malay-<strong>le</strong>-Grand. Lesélèves en situation de handicap, Karine<strong>le</strong>s a accueillis depuis longtemps. Maintenantavec la loi de 2005, el<strong>le</strong> en scolarisechaque année. Sans compétences particulières,hormis trois années passéesdans un RASED en tant que maître E qui,dit-el<strong>le</strong>, peuvent l’avoir aidée dans sonquestionnement <strong>sur</strong> la nature des difficultésdes élèves, et sans formation, Karine atout appris « <strong>sur</strong> <strong>le</strong> tas ». Avec souvent l’angoisseface au saut dans <strong>le</strong> vide : « Qu’estceque je peux lui apporter ? ». Y comprischez <strong>le</strong>s enseignants expérimentés et nedéclarant pas avoir de difficulté particulièreavec <strong>le</strong>s élèves en situation de handicap,<strong>le</strong> flou de la prescription se faitsentir. Alors Karine a décidé de tout baserdans sa classe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bien-être de cesjeunes enfants-là, en établissant patiemmentdes relations de confiance. Pourqu’ils aient du plaisir à être là, pour qu’ilsse fassent des copains, qu’ils jouent avec<strong>le</strong>s autres, qu’ils acquièrent des savoirs.Mais toujours dans <strong>le</strong> doute et dans <strong>le</strong>questionnement. Après une expériencepersonnel<strong>le</strong> de reconstruction, d’un changementprofond <strong>sur</strong> el<strong>le</strong>-même, Karine saitqu’on peut combattre et dépasser la difficulté,qu’il existe des solutions. C’est avecce regard de bienveillance qu’el<strong>le</strong> aideses élèves, qu’el<strong>le</strong> met en place des stratégiesd’apprentissages, pas à pas. Lesdiscussions avec sa collègue, tous <strong>le</strong>ssoirs, pour re-dérou<strong>le</strong>r la journée de travailautour de ces élèves, l’aident toutautant qu’el<strong>le</strong>s aident sa collègue qui scolarisedeux autres élèves en situation dehandicap. Chacune pour continuer à faire<strong>le</strong>ur travail, en essayant d’être efficaces,« malgré tout ».
« Des gestes ordinaires pourdes situations extraordinaires »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pouvez-vous nous par<strong>le</strong>r dela recherche que vous avezmenée ?F. G. Mon point de départ, au traversde la loi de 2005, est <strong>le</strong> principede scolarisation ordinairedes élèves en situation de handicap.En mai 2011, <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> avaitlancé une enquête auprès desenseignants des éco<strong>le</strong>s et 63 %avaient souligné la difficulté àscolariser <strong>le</strong>s enfants en situationde handicap. Cette difficultéexprimée est devenue pour moi« une porte d’entrée » dans l’analysedu travail. L’activité de l’enseignantse situe entre ce qu’onlui demande (l’institution, <strong>le</strong>s collègues,lui-même...) et ce que çalui coûte (<strong>le</strong>s élèves, <strong>le</strong>s résistances...).C’est dans cet écart-làque se situe l’activité enseignante,que nous allons regarderselon une méthodologie cliniqueavec des outils comme l’instructionau sosie ou l’auto-confrontation.Comment analyser cetteactivité enseignante ?F. G. L’instruction au sosie faitémerger « <strong>le</strong>s gestes incorporés »(J. Leplat), ces gestes dont on n’apas une conscience directe. Jepropose une situation fictive dutype « Je dois te remplacerdemain matin dans ta classe etpersonne ne doit s’apercevoir quece n’est pas toi. Donne-moi toutes<strong>le</strong>s instructions nécessaires ».Avec l’auto-confrontation, 2enseignants sont filmés dans <strong>le</strong>urclasse. Ensuite, on visionne et onéchange <strong>sur</strong> ce que l’on voit : « tufais ça, là mais tu m’as dit quec’était ça que tu voulais faire, alorsquels choix as-tu opérés? pourquoi?» ou « tu me dis que tuconsidères ton élève handicapé« Instal<strong>le</strong>r lacontroverse <strong>sur</strong> desquestions de métier »Frédéric GrimaudFrédéric Grimaud est enseignant en CLIS et membre de l’équipe derecherche ERGAPE (Ergonomie de l’Activité des Professionnels del’Education) d’Aix-Marseil<strong>le</strong>-Université. Il a publié dans la Nouvel<strong>le</strong> revuede l’adaptation et de la scolarisation n° 57 et dans la revue TFE avec F.Saujat : Des gestes ordinaires dans des situations extraordinaires :approche ergonomique de l’intégration d’élèves en situation dehandicap à l’éco<strong>le</strong> primaire.comme <strong>le</strong>s autres, mais là il ne faitpas comme <strong>le</strong>s autres : pourquoicet écart entre ce que tu dis et ceque tu fais ? ». La controverses’instal<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s enseignants<strong>sur</strong> des questions de métier,autour des mêmes supportsvidéo.Pouvez-vous nous par<strong>le</strong>r decertains résultats produitspar cette recherche ?F. G. Ma recherche a deux objectifs :une visée heuristique, produiredes savoirs <strong>sur</strong> <strong>le</strong> métier et participerau développement professionneldes enseignants. Pourma recherche, j’ai choisi deuxclasses : un CE1 diffici<strong>le</strong> en ZUPavec un élève en situation dehandicap intel<strong>le</strong>ctuel avectroub<strong>le</strong>s associés, ce qui rajoutede la difficulté à la gestion dugroupe, pour une enseignanteavec trois années d’expérience,et un demi-poste d’AVS ; et unCE1-CM1 avec un élève myopathetrès lourdement appareillé, uneenseignante expérimentée. J’aiconstaté d’abord un fort déficitde la prescription1 (des injonctionsofficiel<strong>le</strong>s à la formation) :<strong>le</strong>s enseignants ne savaient pasquoi faire avec ces enfants-là.Certes, beaucoup de termesgénéraux comme socialiser...inclure... mais sans ressourcesopérationnel<strong>le</strong>s pour l’enseignant.Dans la 1ère classe, l’enseignantdoit gérer <strong>le</strong> groupe entierdiffici<strong>le</strong>. Pour <strong>le</strong> faire en préservantsa santé, el<strong>le</strong> a choisi decadrer ses élèves par une tâchescolaire dès <strong>le</strong>ur entrée en classed’une part. D’autre part, el<strong>le</strong>n’utilise pas uniquement l’AVSpour l’élève en inclusion maisplace à côté de cette dernière 2« Ne pas passer de ladifficulté à lasouffrance »élèves particulièrement agitéspour <strong>le</strong>s maintenir au calme.Dans la 2 e classe, l’enseignante amis en place une forme de tutoratafin de faciliter la participationde son élève en fauteuilroulant aux séances d’EPS. Voici« des gestes ordinaires pour dessituations extraordinaires », quiconstituent des pistes pour l’analysedu travail.Quels sont <strong>le</strong>sprolongements de cetterecherche ?F. G. Dans un premier temps, la scolarisationd’un élève en situationde handicap a permis de poserune loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail enseignant,et pour reprendre l’expressionde René Amigues, de « voirdans une goutte d’eau <strong>le</strong>s propriétésde la rivière ». « Redonner dupouvoir d’agir » (Y. Clot) est unequestion de santé au travail : pasla santé comme absence demaladie, mais comme « la capacitéde l’individu de créer deschoses et des liens entre ceschoses» comme l’avait justementremarqué Canguilhem. La santéau travail, c’est adapter, transformerson milieu pour s’y développer,pour faire « du bon travail ».Et par cette recherche que j’aimenée, ce col<strong>le</strong>ctif d’échangesqui s’est créé, ces moments d’expérimentations,<strong>le</strong>s enseignantsont eu l’opportunité de reprendrela main <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur métier. Et il mesemb<strong>le</strong> qu’un syndicat aurait toutintérêt à développer ses propresoutils d’analyse du travail, pourattaquer de front ces questionsde santé au travail.Propos recueillis par Ginette Bret*Voir artic<strong>le</strong> « <strong>le</strong>s prescriptions sontfloues » à www.snuipp.fr/Les-prescriptions-sont-floues13MÉTIER