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édito<br />
LA FIN DU SAHEL ?<br />
PAR ZYAD LIMAM<br />
Au moment où ces lignes sont écrites, le Burkina Faso<br />
vit son second coup d’État en huit mois (et le neuvième<br />
depuis l’indépendance…). Un officier, le capitaine Ibrahim<br />
Traoré, en remplace un autre, le lieutenant-colonel Damiba.<br />
Pendant ce temps, l’offensive coordonnée des groupes djihadistes<br />
s’amplifie. 40 % du territoire échappe au contrôle<br />
des autorités. Et les services de base, comme l’école ou la<br />
santé, sont profondément impactés. La situation humanitaire<br />
s’aggrave chaque jour un peu plus, avec son lot de réfugiés,<br />
de déplacés.<br />
Au moment où ces lignes sont écrites, la ville de Djibo,<br />
au nord du pays, est sous blocus djihadiste. Nous ne<br />
sommes qu’à 200 km de la capitale. Plus rien ne rentre : ni<br />
nourriture, ni eau, ni produits de première nécessité, ni médicaments.<br />
Plus personne ne sort depuis la mi- février. Presque huit<br />
mois… La ville est menacée par la famine. Le 26 septembre,<br />
un convoi de ravitaillement, avec plusieurs dizaines de poids<br />
lourds, a été annihilé par les djihadistes. Au moins 11 soldats<br />
ont été tués. Et 50 civils sont portés disparus.<br />
Dans un pays longtemps considéré comme un exemple<br />
de vivre-ensemble, le conflit fait sauter les digues. Les Peuls,<br />
soupçonnés d’être la cinquième colonne du terrorisme, sont<br />
stigmatisés. Les discours de haine se multiplient, traversant les<br />
frontières. Sur les réseaux sociaux, sur les pages Facebook,<br />
certains n’hésitent pas à appeler à « l’épuration ethnique ».<br />
Au Mali voisin, la situation n’est guère plus enviable.<br />
Le régime militaire dirigé par Assimi Goïta paraît incapable de<br />
faire face à l’offensive de l’organisation État islamique dans<br />
le Grand Sahara (EIGS), en particulier dans le nord-est du<br />
pays. Les offensives s’accentuent depuis mars dernier. Et le<br />
retrait de la force Barkhane a fragilisé un peu plus les lignes<br />
de défense. Les troupes du groupe de sécurité privée russe<br />
Wagner ne semblent pas en mesure d’inverser la tendance,<br />
et encore moins d’assurer une meilleure protection des civils. À<br />
Bamako, le pouvoir paraît surtout concentré à ouvrir des fronts<br />
aussi inutiles que contre-productifs. Contre la société civile,<br />
contre ce qui reste de démocratie, contre le Niger, son voisin<br />
historique, en insultant son président à la tribune des Nations<br />
unies. Contre la Côte d’Ivoire, son principal partenaire, son<br />
voisin au sud, là où vivent près de 3 millions de Maliens, en<br />
instrumentalisant ad nauseam la crise des 46 soldats ivoiriens<br />
détenus. Seul le Niger semble tenir, pour le moment, malgré<br />
ses fragilités immenses, ses frontières quasi incontrôlables.<br />
Peut-être parce que le pacte social est plus ancré. Et que la<br />
gouvernance est mieux structurée.<br />
Si les militaires savaient gérer (mieux que les civils),<br />
s’ils avaient cette fameuse recette magique pour gouverner<br />
et sauver un pays, ça se saurait. Les statistiques ne jouent pas<br />
en leur faveur. Sur le plan de la gouvernance, mais aussi sur le<br />
plan de la sécurité. Les militaires n’ont pas les moyens, la logistique<br />
qu’ils demandent à l’État. Mais l’État est pauvre, souvent<br />
faillible, corrompu. Être au pouvoir ne fera pas apparaître, par<br />
miracle, plus d’armes, plus de logistique, plus de moyens…<br />
Évidemment, on peut critiquer la France, faire indéfiniment<br />
le procès du néocolonialisme. Faire de Paris la cible<br />
expiatoire de toutes les douleurs, à Dakar, à Bamako, à Ouagadougou.<br />
On peut continuer à se tromper d’époque pour nourrir<br />
la foule. Alors que l’enjeu, c’est la gouvernance, ses propres<br />
forces. Oui, la France perd son influence. Mais on peut difficilement<br />
lui reprocher l’effondrement sécuritaire de la région.<br />
C’est le seul pays qui a réellement mis ses hommes sur le terrain.<br />
Et si Paris intervient, ce n’est pas pour l’argent, les ressources,<br />
les mines, ou quelque autre improbable trésor. Tout cela est<br />
marginal pour la septième puissance économique mondiale.<br />
Dans le même registre, on peut faire croire que la<br />
grande Russie viendra sauver le Sahel. Qu’elle incarne le<br />
nouvel étendard anticolonial, au moment même où elle s’attaque,<br />
sans provocation, à son voisin, l’Ukraine, dans un pur<br />
moment d’impérialisme. On peut faire croire que la Russie n’utilise<br />
pas l’Afrique pour monter les enchères dans cette nouvelle<br />
guerre froide, semi-chaude, qui s’installe, pour contrer la France<br />
justement. On peut faire croire au peuple qu’une société de<br />
sécurité privée viendra résoudre les problèmes et les impuissances<br />
des armées nationales. On peut faire même croire<br />
qu’elle s’intéresse au développement des « frères africains ».<br />
On peut nous faire croire tout cela. Mais la vraie question,<br />
c’est l’incapacité des États concernés de faire face à<br />
la menace, à mieux combattre. La vraie question, c’est de<br />
faire nation, de rassembler. La vraie question, c’est de rétablir<br />
des institutions civiles viables, promouvoir la gouvernance, la<br />
démocratie interne. La vraie question, c’est d’investir, même<br />
le peu, qu’il y a dans le développement économique, dans<br />
le désenclavement. La vraie question, c’est de promouvoir<br />
la solidarité régionale, s’appuyer sur les institutions ouestafricaines,<br />
sur les alliances entre États de la région pour faire<br />
front ensemble, pour s’entraider.<br />
Bien sûr, les cyniques répondront : on peut rêver. Mais<br />
tout le reste n’est que propagande illusoire et suicidaire. Dont<br />
le coût sera immense pour des dizaines de millions d’Africains<br />
sahéliens. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022 3