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ARCHIVES PERSONNELLES PIERRE AUDIN<br />

communistes derrière. Mon père et ma mère étaient tous les<br />

deux membres du PCA, ils s’occupaient d’héberger des camarades<br />

clandestins, de leur trouver des planques. Un jour, ils ont<br />

accueilli un dirigeant du parti, Paul Caballero, qui était malade<br />

et devait être vu par un médecin, Georges Hadjadj. Communiste,<br />

forcément, et ancien copain de la fac de mes parents.<br />

Celui-ci a été arrêté le 10 juin, puis torturé, et a donné leurs<br />

noms. Les militaires lui ont mis une couverture sur les épaules<br />

et l’ont emmené dans la cité, pour qu’il leur montre notre appartement.<br />

Ils ont donc arrêté mon père et l’ont torturé dans un<br />

centre sur les hauteurs d’Alger. Ils espéraient capturer un autre<br />

dirigeant communiste, André Moine, qui aurait dû venir voir<br />

mes parents le lendemain. Mon père n’a pas parlé et, à la place<br />

de Moine, s’est présenté chez nous le 12 juin Henri Alleg [qui<br />

écrira en 1958 La Question, livre autobiographique dénonçant<br />

la torture des civils pendant la guerre d’Algérie, ndlr], lequel a<br />

aussi été arrêté et torturé.<br />

Que s’est-il passé après son arrestation ?<br />

Georges Hadjadj et Henri Alleg sont sortis vivants du centre<br />

de torture. Pour Maurice Audin, ce fut différent… Chose originale,<br />

au bout de quelques jours, ils ont joué une scène d’évasion<br />

devant un témoin civil. C’est la seule fois, que je sache, où ils<br />

ont organisé une vraie mise en scène. Peut-être parce que c’était<br />

un intellectuel et que ma mère faisait du bruit pour avoir des<br />

nouvelles. Dès que les soldats, qui s’y étaient installés pour<br />

tendre leur piège, se sont retirés de la maison, elle a remué ciel<br />

et terre pour le retrouver. Quand on lui a dit qu’il s’était évadé,<br />

elle a compris qu’il avait été assassiné et a déposé plainte contre<br />

X pour homicide volontaire. Elle a continué ses démarches<br />

jusqu’à l’indépendance de l’Algérie et aux accords d’Évian. À<br />

ce moment-là, plusieurs lois d’amnistie ont été votées. A priori,<br />

on amnistiait tout le monde, les indépendantistes comme les<br />

bourreaux et les tortionnaires, et il y a eu des lois qui se sont<br />

répercutées sur l’affaire Audin, empêchant de savoir exactement<br />

ce qu’il s’était passé, et donc l’accès à la vérité.<br />

Pourtant, Josette Audin n’a pas renoncé à se battre,<br />

même après avoir dû quitter l’Algérie en 1966 (année<br />

où vous avez émigré à Paris, après le coup d’État<br />

du colonel Boumédiène de 1965) et jusqu’à sa mort,<br />

en 2019. Elle a toujours demandé des comptes<br />

sur les circonstances de la mort de son époux…<br />

C’est une femme incroyable car elle s’est battue pendant<br />

soixante et un ans. D’abord, pour essayer de le retrouver, puis<br />

pour trouver et faire condamner les tueurs, et ensuite pour<br />

connaître la vérité et la faire reconnaître. Le 13 septembre<br />

2018, elle a obtenu que le président de la République française<br />

vienne chez elle lui remettre une déclaration, qui la satisfaisait<br />

de manière générale, sauf sur un point. En effet, le chef d’État<br />

a été obligé de dire qu’il ne savait pas ce qui était arrivé à mon<br />

père, s’il avait été assassiné ou exécuté. Mais il a tout de même<br />

reconnu que la torture était un système mis en place par la<br />

République française en Algérie pour terroriser la population,<br />

« Ma mère<br />

est incroyable car<br />

elle s’est battue<br />

pendant soixante<br />

et un ans. D’abord,<br />

pour essayer<br />

de retrouver mon<br />

père, puis pour<br />

faire condamner<br />

ses tueurs. »<br />

Le couple Audin, en janvier 1953.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022

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