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RENCONTRE<br />
qui n’a pas été utilisé pour déjouer des attaques, mais pour inciter<br />
les gens à ne pas participer à la lutte pour l’indépendance. Il<br />
a aussi reconnu qu’il y avait eu des milliers de Maurice Audin et<br />
a promis d’ouvrir toutes les archives concernant ces personnes<br />
disparues, afin que les familles sachent enfin ce qu’il leur était<br />
arrivé. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur la colonisation<br />
et la guerre de libération – je pense notamment à l’emploi<br />
des armes chimiques –, mais sur l’usage de la torture pendant<br />
la guerre d’Algérie, je pense qu’il aurait été difficile d’avoir plus<br />
que ce que ma mère a réussi à obtenir du président de la République<br />
– je ne dis jamais « le président Macron », parce que c’est<br />
la fonction institutionnelle qui compte, peu importe le nom du<br />
président. C’est là-dessus qu’elle a vraiment gagné et qu’elle a<br />
pu se dire satisfaite de ce qu’elle avait accompli.<br />
Comme vous le dites,<br />
il y a eu des milliers d’autres<br />
Maurice Audin. Vous avez<br />
même ouvert un site Internet,<br />
1000autres.org, afin de<br />
recueillir les histoires de ces<br />
anonymes et de leurs proches.<br />
Pourtant, c’est bien votre père<br />
qui est devenu un symbole.<br />
Pourquoi, selon vous ?<br />
Eh bien, parce qu’il y a eu<br />
Josette Audin. Parce que ma mère<br />
a fait tant de choses, pour lui et<br />
pour tous les autres. En réalité,<br />
mes parents ont tout fait ensemble.<br />
C’est elle qui l’a fait entrer au<br />
PCA. Mais les militaires français,<br />
comme les communistes algériens,<br />
ne pouvaient pas imaginer qu’une<br />
femme puisse être dangereuse. Ils<br />
ont donc arrêté Maurice, mais pas<br />
Josette. C’est lui qui a été torturé et<br />
tué, mais elle a poursuivi le combat<br />
après sa mort, et son engagement<br />
commence seulement aujourd’hui<br />
à être reconnu. On me dit par<br />
exemple que je suis un mathématicien<br />
comme mon père, mais en fait, je le suis grâce à ma mère :<br />
elle aussi était mathématicienne. Petit à petit, même en Algérie,<br />
on commence à reconnaître que beaucoup de femmes ont eu<br />
un rôle important dans la lutte pour l’indépendance, même si<br />
elles s’exposaient peut-être moins que les hommes.<br />
Vous dites qu’elle a aussi fait beaucoup<br />
pour les autres. À quel niveau ?<br />
Par exemple, au moment où elle a porté plainte pour homicide<br />
volontaire, elle a pris une seconde femme de ménage.<br />
Cela n’était pas si étrange à l’époque pour des Européens, mais<br />
en fait, ce n’était pas une vraie femme de ménage. C’était un<br />
Avec son passeport algérien,<br />
obtenu en avril dernier.<br />
moyen de passer tous les checkpoints ensemble et de se rendre<br />
à la prison de Barberousse pour y rencontrer les familles des<br />
détenus, et leur donner des informations, de l’argent, les aider.<br />
Elle a participé au mouvement de solidarité envers ceux qui,<br />
comme son mari, avaient été arrêtés parce qu’ils luttaient pour<br />
l’indépendance de leur pays. Cela a été son combat tout au<br />
long de la guerre d’Algérie. Et après, elle s’est battue pour faire<br />
connaître la vérité sur l’utilisation de la torture à travers un<br />
symbole, qui était Maurice Audin. Un jeune homme beau et<br />
intelligent. Une icône qui a permis entre autres de créer un<br />
comité à son nom ainsi qu’un prix de mathématiques pendant<br />
la guerre [relancé en 2004, le prix Maurice Audin est désormais<br />
remis à un mathématicien exerçant en Algérie et à un autre<br />
en France, ndlr].<br />
Elle a également reçu<br />
la Légion d’honneur en 1983.<br />
Était-ce lié à son combat ?<br />
Officiellement, son combat<br />
pour Maurice n’y était pour rien.<br />
Elle a été décorée pour son engagement<br />
contre la torture, en tant que<br />
militante du mouvement contre<br />
le racisme et pour l’amitié entre<br />
les peuples. Mais c’est le général<br />
de Bollardière qui l’a décorée. Ce<br />
n’était pas n’importe qui : c’était LE<br />
général qui s’était opposé à la torture<br />
pendant la guerre d’Algérie.<br />
Ça a été un symbole très important.<br />
Il y en a eu d’autres, comme<br />
l’inauguration d’une place Maurice<br />
Audin à Paris, en 2004. Mon père a<br />
aussi un cénotaphe au cimetière du<br />
Père Lachaise depuis 2019. C’est le<br />
seul monument à la mémoire d’un<br />
combattant de l’indépendance de<br />
l’Algérie en France.<br />
Au-delà des symboles,<br />
quel genre de personnes<br />
étaient vos parents ?<br />
Ils étaient un peu cinglés, je<br />
pense. Mais toute la société était un peu folle. Le PCA militait<br />
pour l’indépendance, et ils y ont contribué, à leur manière. Pas<br />
avec des armes, dont ils ne savaient même pas se servir, mais<br />
en parlant aux gens, en distribuant des tracts, en participant à<br />
des manifestations où la police tirait à balles réelles sur la foule.<br />
À l’époque, mes parents, qui étaient des intellectuels, gagnaient<br />
assez bien leur vie, car mon père était assistant à la fac : ils<br />
étaient d’ailleurs les seuls dans leur immeuble à avoir un téléphone<br />
et une voiture (une 4CV). Ils avaient dit aux voisins qu’en<br />
cas de problème, ils pouvaient utiliser leur téléphone. Le jour de<br />
l’attentat du casino de la Corniche, ils ont appris que le fiancé<br />
HAKIM ADDAD<br />
66 AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022