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FRANÇOIS DEMERLIAC<br />
Maurice Audin, jeune<br />
militant communiste pour<br />
l’indépendance de l’Algérie,<br />
fut assassiné en 1957 par<br />
l’armée française. Sa femme<br />
a mené un combat acharné<br />
pour la vérité. Son fils Pierre<br />
nous replonge au cœur<br />
de cette époque sombre,<br />
avec un œil rivé sur le futur<br />
d’un pays qui est aussi<br />
le sien. propos recueillis<br />
par Luisa Nannipieri<br />
L’Algérie vient de fêter ses 60 ans d’indépendance,<br />
et la mémoire commune<br />
autour de la guerre et de son héritage ne<br />
cesse de se construire. Parmi les histoires<br />
devenues des symboles de cette période<br />
et de ses horreurs, il y a<br />
celle de Maurice Audin.<br />
Le 11 juin 1957, le mathématicien<br />
et militant communiste de 25 ans<br />
est arrêté à Alger par l’armée française. Il est<br />
torturé pendant des jours, puis tué. Son corps<br />
ne sera jamais retrouvé. Dès sa disparition et<br />
pendant le restant de sa vie, sa femme, Josette<br />
Audin (décédée en 2019), s’est battue pour le<br />
retrouver, faire reconnaître la vérité et que ses<br />
assassins soient condamnés. Un combat long<br />
de presque soixante-deux ans qui a amené le<br />
président Emmanuel Macron à admettre officiellement<br />
la responsabilité de la France dans<br />
la mort de son mari et à lui demander pardon,<br />
le 13 septembre 2018. Aujourd’hui, c’est Pierre<br />
Audin, âgé de 1 mois lors de l’arrestation de son<br />
père, qui entretient la mémoire de ses parents<br />
et continue de se battre pour faire la lumière sur<br />
les crimes commis pendant la guerre d’Algérie.<br />
AM : Qui était Maurice Audin,<br />
et dans quel contexte a-t-il disparu ?<br />
Pierre Audin : Mon père était un Algérien d’origine européenne.<br />
À l’époque, l’Algérie n’était pas indépendante et tous les habitants<br />
étaient, soi-disant, de nationalité française, même si les musulmans<br />
étaient considérés comme des citoyens de seconde zone.<br />
Mais mon père se considérait comme algérien et militait au Parti<br />
communiste algérien (PCA). Celui-ci, qui était indépendant du<br />
Parti communiste français (PCF) et avait été interdit en 1955,<br />
se battait contre la colonisation et pour l’indépendance du pays.<br />
En 1954, le Front de libération nationale (FLN) ayant déclenché<br />
la lutte armée, on a assisté à ce que la France a longtemps appelé<br />
« les événements d’Algérie ». L’armée française a été déployée<br />
dans le pays, notamment à Alger, et à partir de 1957, l’État lui<br />
a octroyé les pouvoirs de police. En réalité, elle avait aussi les<br />
pouvoirs de justice et de bourreau : elle avait tous les droits. À<br />
partir de janvier 1957, les soldats ont quadrillé la ville, et le général<br />
Jacques Massu, le grand chef de l’armée, a décidé d’appeler<br />
cela « la bataille d’Alger ». Sauf que ce n’était pas une bataille.<br />
Il n’y avait pas une armée contre une autre armée, mais une<br />
armée contre un peuple. Les soldats réprimaient les Algériens et<br />
les empêchaient de rejoindre la lutte pour l’indépendance, que<br />
celle-ci soit armée ou pas. Les militaires arrêtaient ceux qu’ils<br />
voulaient, quand ils voulaient. Ils torturaient les gens et les faisaient<br />
disparaître en disant qu’ils s’étaient évadés. Annoncer que<br />
quelqu’un s’était échappé voulait dire qu’il avait été assassiné et<br />
que son corps avait été dissimulé pour ne laisser aucune trace.<br />
Mon père a été arrêté le 11 juin 1957. Le 9 juin, il y a eu un<br />
Le 13 septembre 2018, le président Emmanuel Macron remet à Josette Audin<br />
une lettre reconnaissant la responsabilité de la France dans la mort de son époux.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022 63