encontre Pierre Audin Au nom du Père ROSA MOUSSAOUI/L’HUMANITÉ 62 AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022
FRANÇOIS DEMERLIAC Maurice Audin, jeune militant communiste pour l’indépendance de l’Algérie, fut assassiné en 1957 par l’armée française. Sa femme a mené un combat acharné pour la vérité. Son fils Pierre nous replonge au cœur de cette époque sombre, avec un œil rivé sur le futur d’un pays qui est aussi le sien. propos recueillis par Luisa Nannipieri L’Algérie vient de fêter ses 60 ans d’indépendance, et la mémoire commune autour de la guerre et de son héritage ne cesse de se construire. Parmi les histoires devenues des symboles de cette période et de ses horreurs, il y a celle de Maurice Audin. Le 11 juin 1957, le mathématicien et militant communiste de 25 ans est arrêté à Alger par l’armée française. Il est torturé pendant des jours, puis tué. Son corps ne sera jamais retrouvé. Dès sa disparition et pendant le restant de sa vie, sa femme, Josette Audin (décédée en 2019), s’est battue pour le retrouver, faire reconnaître la vérité et que ses assassins soient condamnés. Un combat long de presque soixante-deux ans qui a amené le président Emmanuel Macron à admettre officiellement la responsabilité de la France dans la mort de son mari et à lui demander pardon, le 13 septembre 2018. Aujourd’hui, c’est Pierre Audin, âgé de 1 mois lors de l’arrestation de son père, qui entretient la mémoire de ses parents et continue de se battre pour faire la lumière sur les crimes commis pendant la guerre d’Algérie. AM : Qui était Maurice Audin, et dans quel contexte a-t-il disparu ? Pierre Audin : Mon père était un Algérien d’origine européenne. À l’époque, l’Algérie n’était pas indépendante et tous les habitants étaient, soi-disant, de nationalité française, même si les musulmans étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Mais mon père se considérait comme algérien et militait au Parti communiste algérien (PCA). Celui-ci, qui était indépendant du Parti communiste français (PCF) et avait été interdit en 1955, se battait contre la colonisation et pour l’indépendance du pays. En 1954, le Front de libération nationale (FLN) ayant déclenché la lutte armée, on a assisté à ce que la France a longtemps appelé « les événements d’Algérie ». L’armée française a été déployée dans le pays, notamment à Alger, et à partir de 1957, l’État lui a octroyé les pouvoirs de police. En réalité, elle avait aussi les pouvoirs de justice et de bourreau : elle avait tous les droits. À partir de janvier 1957, les soldats ont quadrillé la ville, et le général Jacques Massu, le grand chef de l’armée, a décidé d’appeler cela « la bataille d’Alger ». Sauf que ce n’était pas une bataille. Il n’y avait pas une armée contre une autre armée, mais une armée contre un peuple. Les soldats réprimaient les Algériens et les empêchaient de rejoindre la lutte pour l’indépendance, que celle-ci soit armée ou pas. Les militaires arrêtaient ceux qu’ils voulaient, quand ils voulaient. Ils torturaient les gens et les faisaient disparaître en disant qu’ils s’étaient évadés. Annoncer que quelqu’un s’était échappé voulait dire qu’il avait été assassiné et que son corps avait été dissimulé pour ne laisser aucune trace. Mon père a été arrêté le 11 juin 1957. Le 9 juin, il y a eu un Le 13 septembre 2018, le président Emmanuel Macron remet à Josette Audin une lettre reconnaissant la responsabilité de la France dans la mort de son époux. AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022 63