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qui est réellement menacé ? Tous les harkis l’étaient potentiellement…<br />

De l’autre, on demandait de façon très affirmée de<br />

maintenir le plus possible de personnes sur place, par crainte<br />

d’un trop grand nombre à réinstaller en métropole, et en supposant<br />

leur inadaptabilité à une vie en France. En outre, les<br />

accords d’Évian étaient censés garantir la sécurité des anciens<br />

harkis maintenus en Algérie. Pour certains militaires, peutêtre<br />

plus soucieux d’avancement que d’autres considérations,<br />

cette demande à double donnée a été résolue dans l’abrupt :<br />

« On m’a demandé de ramener le moins de monde possible,<br />

et je ferai ce qu’on me demande. » Pour d’autres, plus préoccupés<br />

du sort de leurs hommes et des engagements contractés<br />

envers eux, prendre à la lettre de rapatrier les supplétifs<br />

menacés s’est révélé être un parcours d’obstacles et d’attentes.<br />

Quelques-uns enfin, doutant de la volonté du gouvernement<br />

ou craignant pour la vie de leurs hommes, ont fait le choix de<br />

rapatriements clandestins.<br />

Les autorités françaises demandaient aux candidats<br />

au départ de constituer des dossiers administratifs, alors<br />

que beaucoup d’entre eux étaient analphabètes…<br />

Ce fait est rapporté par le général François Meyer dans<br />

son livre Pour l’honneur… avec les harkis : De 1958 à nos jours.<br />

Il raconte qu’à l’époque, ce piège qui s’est refermé sur ces<br />

hommes, en grande majorité analphabètes, semble ne pas avoir<br />

été très mesuré (on ne voudrait pas avancer autre chose). Une<br />

fois désarmés, démobilisés et renvoyés dans leurs villages, ils<br />

se sont trouvés en grand nombre dans l’incapacité de répondre<br />

par eux-mêmes aux exigences administratives du plan de rapatriement,<br />

après avoir été séparés des officiers qui auraient pu<br />

les y aider. Meyer pointe le fait que le commandement ne se soit<br />

pas étonné que, pour toute l’Algérie, seulement 1500 dossiers<br />

de demande aient été transmis. Au niveau du gouvernement,<br />

on a évalué, à partir de ce nombre, que les rapatriements ne<br />

représenteraient pas un volume trop important, ce qui va vite<br />

s’avérer une tragique sous-estimation. Le général est l’un de<br />

ces quelques officiers (il était alors lieutenant) qui ont choisi de<br />

rester jusqu’au bout au contact de leurs hommes, pour accompagner<br />

leur rapatriement dans le cadre du plan officiel.<br />

Les harkis restés en Algérie ont subi des menaces<br />

– certains ont même été massacrés –, et aujourd’hui<br />

encore, ils sont stigmatisés. Ceux rapatriés en France<br />

se sont retrouvés relégués, marginalisés. Accueillis<br />

en premier lieu dans des camps aux conditions de vie<br />

indignes, beaucoup ont lutté, et continuent toujours,<br />

pour la reconnaissance de leurs droits…<br />

À l’époque où je travaillais sur le scénario de La Trahison,<br />

j’ai lu 1955-1962, Guerre et paix en Algérie : L’Épopée silencieuse<br />

des SAS, écrit par un officier français, Nicolas d’Andoque. Il<br />

l’a dédié à un jeune Algérien qu’il a eu sous son commandement<br />

et qui, après le cessez-le-feu, a pu s’engager dans l’armée,<br />

car il répondait aux conditions de célibat. Ce jeune homme<br />

a été envoyé en Allemagne et s’est suicidé quelques mois<br />

« Du fait de mon<br />

histoire familiale<br />

et personnelle,<br />

je suis sensible à<br />

celle de gens qui ont<br />

eu à recommencer<br />

leur vie dans<br />

un autre pays. »<br />

après. La dédicace de l’auteur dit en quelques mots ce qu’il<br />

s’est passé dans l’immédiat après-guerre et les quelques décennies<br />

qui ont suivi : « À X, pour avoir perdu l’Algérie, sans avoir<br />

trouvé la France. »<br />

Votre filmographie s’intéresse à des personnages<br />

issus de l’immigration postcoloniale en France.<br />

Pourquoi ces histoires vous passionnent-elles ?<br />

Du fait de mon histoire familiale et personnelle, je suis sensible<br />

à l’histoire de gens qui ont eu à recommencer leur vie dans<br />

un autre pays. Comme un grand nombre de Français, je suis<br />

moi-même en partie descendant d’immigrés, qui ont dû élever<br />

leurs enfants dans un pays dont ils ne parlaient pas la langue.<br />

Comment analysez-vous cette montée de l’extrême<br />

droite en France, la banalisation des propos racistes,<br />

islamophobes, l’omniprésence de personnalités<br />

proches de cette mouvance au sein de certains<br />

médias mainstream ? La France n’a pas encore<br />

accepté son histoire dans toute sa diversité ?<br />

Depuis toujours, l’histoire de la société française est faite<br />

de multiples croisements. Entre autres, elle est liée par la force<br />

des choses à celle des descendants de personnes venues des<br />

pays où la France a été présente. Aujourd’hui, parce qu’on vit<br />

une période d’inquiétudes plus marquées par rapport à l’avenir,<br />

on voit se raviver les discours du repli sur soi, et même les<br />

mythes d’une France originelle. C’est un schéma classique, mais<br />

il prend un tracé plus prononcé, accentué par la parole de gens<br />

qui savent qu’ils vont rencontrer une peur et une préoccupation.<br />

On en est arrivé à entendre que Mohamed n’est pas un prénom<br />

français et qu’il faudrait favoriser l’intégration en appelant ses<br />

enfants autrement (comme cela s’est d’ailleurs produit pour la<br />

première génération de descendants de harkis nés en France).<br />

C’est bien sûr occulter que Mohamed est de fait un prénom<br />

depuis très longtemps entré dans l’histoire de France par le<br />

sang versé, et participant de la société par le travail apporté et<br />

les enfants élevés. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022 61

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