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COUPE<br />
DU MONDE<br />
2022<br />
incontournable au moment où l’énergie<br />
se fait rare, où la Russie « sort » partiellement<br />
du marché, où l’Europe cherche par<br />
tous les moyens à diversifier son approvisionnement.<br />
Et qui vient de signer avec le<br />
géant français Total un méga deal pour<br />
augmenter sa production avec de nouveaux<br />
gisements off-shore (projets North<br />
Field East et North Field South). Le Qatar<br />
est, à son corps défendant, l’incarnation<br />
d’une économie entièrement carbonée.<br />
Mais il est incontournable dans cette<br />
période de pénurie, et même dans le processus<br />
de transition énergétique.<br />
UNE CAPITALE SORTIE DES SABLES<br />
Doha, fondée en 1850, fut longtemps<br />
un petit village de pêcheurs et d’exploitation<br />
de perles. Aujourd’hui, la capitale<br />
n’a pas tout à fait le look stupéfiant et<br />
démesuré de Dubaï, mais une « city » est<br />
tout de même littéralement sortie des<br />
sables en moins de trente ans, avec les<br />
tours iconiques de West Bay. En face, de<br />
l’autre côté de la baie, l’archipel habituel<br />
d’îles artificielles, The Pearl, impressionnant<br />
ensemble résidentiel d’immeubles et<br />
de villas de luxe. Et le développement de<br />
la nouvelle ville spectaculaire de Lusail,<br />
où se trouve le stade qui accueillera la<br />
finale de la Coupe du monde. Education<br />
City aligne avec fierté ses grandes écoles<br />
et universités internationales, avec les<br />
plus grandes « marques » éducatives<br />
américaines (Georgetown, Cornell, Texas<br />
A&M, Northwestern…). Le pays a investi<br />
dans des chefs-d’œuvre architecturaux<br />
majeurs, comme le musée d’Art islamique<br />
(le MIA, signé Ieoh Ming Pei) ou la bibliothèque<br />
nationale (Rem Koolhaas).<br />
Doha, c’est également un hub international,<br />
une ville de transit, soutenu<br />
par Qatar Airways, l’une des toutes<br />
premières compagnies au monde, et<br />
son gigantesque aéroport international<br />
Hamad. Au décollage ou à l’atterrissage,<br />
les contrastes sont saisissants. Une vue<br />
sur les immenses usines de liquéfaction<br />
de gaz. Et une vue sur le bleu du<br />
golfe Persique, sur The Pearl et les îlots<br />
privés, au large de la capitale, avec des<br />
villas palatiales.<br />
Paradoxalement, malgré les moyens,<br />
l’imperfection n’a pas totalement déserté<br />
les lieux. Le pays est peu peuplé. Les ressources<br />
humaines sont limitées. On fait<br />
et on refait beaucoup. Le pays avance, la<br />
capitale grandit, mais il y a cette sensation<br />
de surchauffe, d’atteindre souvent<br />
les limites de ce qui est faisable. À la<br />
périphérie, villas modestes, « quartiers<br />
populaires », petits commerces n’ont pas<br />
disparu, donnant parfois la sensation de<br />
gros villages à l’ombre de tours.<br />
L’ambiance est certes bien moins<br />
festive qu’a Dubaï, un certain rigorisme<br />
s’impose, mais ici et là, dans les hôtels en<br />
particulier se trouvent des espaces où l’on<br />
peut faire décemment la fête (en tout cas,<br />
les étrangers)…<br />
LA RELANCE DE L’ÉCONOMIE<br />
Depuis le début des années 1940,<br />
le Qatar (alors colonie britannique) est<br />
producteur de pétrole. On sait aussi qu’il<br />
y a des ressources de gaz. Le pays, indépendant<br />
en 1971, sort de la précarité,<br />
rentre rapidement dans le club des pays<br />
émergents. À partir des années 1980<br />
pourtant, le vent tourne. L’économie se<br />
contacte. Les quotas de l’Organisation<br />
des pays exportateurs de pétrole (OPEP)<br />
sur la production, la baisse du prix de<br />
l’or noir, les perspectives généralement<br />
peu prometteuses sur les marchés internationaux<br />
ont drastiquement asséché les<br />
revenus pétroliers. Les réserves prouvées<br />
elles-mêmes ne sont pas suffisantes pour<br />
bâtir un plan de développement ambitieux.<br />
On estime que les puits seront<br />
épuisés à l’horizon 2030.<br />
À l’orée des années 1990, le Qatar<br />
est à court de revenus, en récession. « Il<br />
faut emprunter pour payer les salaires »,<br />
souligne un ministre de l’époque. Le<br />
pays est politiquement immobile, encadré<br />
par le conservatisme religieux et<br />
social. Les Qataris sont de culture wahhabite,<br />
cette branche rigoriste de l’islam<br />
qu’ils partagent avec leur puissant voisin<br />
saoudien. Le chef de l’État, l’émir Khalifa<br />
ben Hamad Al Thani, est de la vieille<br />
école. Il installe le pouvoir de sa famille<br />
aux dépens des autres tribus et branches<br />
cousines. En 1995, Cheikh Hamad, le fils<br />
ambitieux, dépose son père parti pour<br />
un énième voyage à l’étranger. Khalifa<br />
s’opposait, semble-t-il, à son deuxième<br />
mariage avec Cheikha Moza. Et l’émirat<br />
n’avait pas véritablement de stratégie<br />
économique de long terme.<br />
Cheikh Hamad, lui, a un projet. Il<br />
veut moderniser le pays à marche forcée,<br />
garantir son indépendance, en particulier<br />
vis-à-vis du puissant voisin saoudien.<br />
Relancer l’économie en shiftant vers le<br />
gaz. Avec l’exploitation de North Dome,<br />
dans les eaux territoriales, le plus grand<br />
gisement naturel au monde, découvert<br />
par Shell au début des années 1970.<br />
L’objectif central, le changement de paradigme,<br />
c’est de trouver la solution pour<br />
transporter ce gaz en dehors des pipelines.<br />
Ce sera le gaz naturel liquéfié qui<br />
nécessite de lourds investissements de<br />
départ. Hamad cherche des partenaires<br />
et des financements. Certains pays, soucieux<br />
de diversifier leurs ressources énergétiques,<br />
parient sur le projet. Japonais et<br />
Français en particulier. La multinationale<br />
Total s’engage. Le succès est assez spectaculaire.<br />
Le Qatar devient le premier<br />
exportateur mondial de gaz liquide. Et<br />
le cinquième producteur de gaz naturel<br />
(après les États-Unis, la Russie, l’Iran,<br />
qui partage avec Doha l’exploitation de<br />
North Dome, et la Chine). Et donc l’un<br />
des pays les plus riches du monde. La<br />
boucle est bouclée.<br />
CRÉER DU SOFT POWER<br />
Le miracle économique s’accompagne<br />
d’une volonté de desserrer l’étau du<br />
conservatisme, sans vraiment renoncer<br />
officiellement au dogme wahhabite. Ni au<br />
contrôle politique. Le terme « monarchie<br />
absolue constitutionnelle héréditaire »<br />
reste essentiel. L’émir règne et gouverne.<br />
Il est chef d’État et chef de gouvernement.<br />
Et il est difficile par définition<br />
de s’opposer politiquement au système.<br />
Mais même dans le domaine de l’expression<br />
publique, les Al Thani sont prêts à<br />
prendre quelques risques. Le système justement<br />
cherche à contenir les conflits, les<br />
dissidences par des arbitrages intérieurs,<br />
SHUTTERSTOCK<br />
36 AFRIQUE MAGAZINE I 433 – OCTOBRE 2022