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92 Société<br />
Tunisie Comme le « printemps arabe », le rêve révolutionnaire au féminin a fait long feu : Ennhadha<br />
veut faire table rase du code du statut personnel des femmes, modèle de parité dans le<br />
monde, pour les soumettre à nouveau au pouvoir masculin. Manipulées, nombre d’entre elles<br />
participent à leur malheur.<br />
Par Fériel Berraies Guigny<br />
En hiver islamiste tu te voileras…<br />
Quotidiennement, les<br />
acquis des femmes<br />
tunisiennes sont<br />
remis en cause par le<br />
pouvoir en place. Ils<br />
interprètent les textes<br />
religieux en ne laissant<br />
aucune ambivalence sur le<br />
rôle dévolu aux Tunisiennes<br />
dans le futur islamiste du<br />
pays: d’égales des hommes,<br />
elles pourraient ne plus être<br />
que complémentaires! C’est<br />
ainsi que les conçoit et veut<br />
les voir rapidement<br />
Ennahdha, en balayant les<br />
valeurs du code du statut<br />
personnel au profit d’une<br />
interprétation rétrograde du<br />
statut de la femme.<br />
◗ Mauvaise moitié<br />
Depuis toujours, l’homme a<br />
interprété les versets<br />
coraniques en donnant une<br />
dimension masculine du<br />
divin, « l’homme étant<br />
présenté dans toute sa<br />
suprématie et la femme dans<br />
une posture inférieure »,<br />
explique l’universitaire et<br />
exégète coranique tunisienne<br />
Mongia Souahi. La femme<br />
serait la moitié de l’homme,<br />
elle n’aurait pas le droit<br />
d’étudier, de travailleur, de<br />
faire de la politique. Une<br />
interprétation erronée<br />
largement utilisée par le<br />
pouvoir en place et dans<br />
beaucoup de pays arabes<br />
conservateurs.<br />
Pourtant, la femme est aimée<br />
et choyée dans le Coran,<br />
insiste Mongia Souaïhi,<br />
l’une des rares islamologues<br />
femmes dans le monde<br />
arabo-musulman à avoir<br />
traduit le Coran. « Dans le<br />
hadith Nabawi et dans le<br />
comportement du Prophète<br />
et de ses amis, les femmes<br />
étaient respectées en tant<br />
qu’être humain à part<br />
entière. Khadija elle-même<br />
était professeure, c’était une<br />
femme d’affaires, une<br />
politique. Il y a eu des<br />
femmes qui se sont opposées<br />
à Omar Ibn el-Khattab. Il y<br />
a eu des femmes qui se sont<br />
élevées contre Mouaawi<br />
Abousofiene; elles étaient<br />
activistes et elles ont parlé<br />
des problèmes qui<br />
taraudaient leur société.<br />
Rien dans les écrits ne<br />
prouve que la femme est la<br />
moitié de l’homme »,<br />
explique l’islamologue.<br />
Mais, comme dans toutes les<br />
religions monothéistes qui<br />
sont dominées par les<br />
hommes, et dans toutes les<br />
sociétés qui se réfèrent à ces<br />
religions, les femmes sont<br />
considérées comme des<br />
citoyennes de seconde zone.<br />
Les exégètes des XVIII e<br />
et XIX e siècles ont<br />
malheureusement abondé<br />
dans ce sens, et rares sont<br />
ceux qui ont pris la défense<br />
des femmes, à l’exception<br />
du Tunisien Mohamed Tahar<br />
Ibn Achour.<br />
Entre espoir et crainte, la<br />
révolution du « printemps<br />
arabe » version féminine est<br />
encore en train de chercher<br />
la place qu’elle mérite. Pour<br />
faire face aux préjugés, les<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
femmes du petit peuple,<br />
mais aussi les femmes<br />
intellectuelles et celles de la<br />
classe nantie, doivent peser<br />
de tout leur poids en faveur<br />
de la laïcité et de la parité.<br />
Un travail laborieux mais<br />
nécessaire, car l’islamisation<br />
radicale a planté « sa tente »<br />
dans la région, et la Tunisie<br />
en subit les conséquences,<br />
mettant en péril les acquis<br />
des femmes qui ont toujours<br />
été un modèle pour le monde<br />
arabe et le monde en<br />
général.<br />
L’un des défis majeurs pour<br />
les Tunisiennes au cours de<br />
cette post-révolution tourne<br />
principalement autour de la<br />
question du pouvoir et de<br />
leur statut. Et ce n’est pas<br />
une question de chiffres:<br />
qu’importe si le Parlement<br />
tunisien compte 23 % de<br />
femmes contre 20 % pour le<br />
Parlement français, s’il<br />
s’agit de femmes qui ne<br />
représentent pas la<br />
population dans sa globalité<br />
et ne s’expriment que dans<br />
le sens du pouvoir islamiste<br />
qui les a intronisées!<br />
C’est bien là le leurre<br />
politique d’Ennahdha. Les<br />
femmes libérales exigent que<br />
la Constitution soit garante<br />
des droits des femmes avec<br />
deux articles non<br />
négociables: la séparation<br />
du religieux et du politique,<br />
et l’égalité entre les femmes<br />
et les hommes dans tous les<br />
domaines, conformément à<br />
la Convention sur<br />
l’élimination de toutes les<br />
formes de discrimination à<br />
l’égard des femmes et à la<br />
levée des réserves annoncée<br />
par l’ancien pouvoir et qui<br />
doit être concrétisée…<br />
Il est indispensable que les<br />
réformes politiques<br />
garantissent le caractère<br />
constitutionnel et irrévocable<br />
de ces droits, qui sont les<br />
garanties nécessaires pour<br />
restaurer la confiance entre<br />
les différents acteurs<br />
politiques et les convaincre<br />
qu’aucune des parties ne<br />
sera dépossédée des<br />
promesses de la révolution<br />
de janvier 2011.<br />
Si la Tunisie a créé un<br />
néologisme dans le monde<br />
arabe avec sa révolution, il<br />
reste qu’elle n’est pas finie.<br />
Car la libération des peuples<br />
et des femmes sont<br />
inséparables. Toute société<br />
qui reposerait sur un lien de<br />
domination des hommes sur<br />
les femmes est une société<br />
qui bloquerait la dynamique<br />
sociale.<br />
Aujourd’hui, les Tunisiennes<br />
sont en alerte maximum.<br />
Elles sont à l’écoute de tous<br />
les discours politiques<br />
diffusés dans les médias, à<br />
l’affût du moindre indice qui<br />
LA TUNISIENNE EST AUTANT UN ALIBI<br />
RELIGIEUX QU’UN INSTRUMENT POLITIQUE.