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96 Sport Foot L’exode des talents a appauvri les clubs d’Afrique subsaharienne qui disputent des compétitions nationales dévaluées. Par Faouzi Mahjoub Àl’issue de son septième couronnement par l’assemblée générale de la Confédération africaine de football (Caf), réunie le 10 mars à Marrakech, Issa Hayatou a lâché au micro de l’envoyé spécial de RFI: « [Sous ma présidence], le football africain a fait un bond en avant. » Était-il au bord du précipice?! Et de déverser son mépris pour les journalistes tout en ignorant les pratiquants (amateurs ou professionnels). C’est pourtant admis: sa Majesté Hayatou VII n’aime pas le foot, elle n’en parle jamais parce qu’elle ne sait pas en parler. Elle ne s’intéresse pas au jeu, car elle n’en saisit pas les subtilités. Elle est sous l’emprise des forces de la politique et de l’argent et à force de côtoyer les dictateurs, elle n’en a pas pris de la graine. Surtout, elle ne se préoccupe pas des réalités de football africain d’aujourd’hui. ◗ Deux footballs Ce dernier est, depuis la fin des années 1990, à deux vitesses. Son élite vit et pratique hors d’Afrique, plus spécialement en Europe, alors que son corps, c’est-à-dire la masse des pratiquants, se trouve sur le continent. Il n’y a plus un seul football africain mais un football afro-africain (tous les joueurs et joueuses non Le temps des fractures expatriés amateurs ou non amateurs), et un second afro-européen (les expatriés, tous professionnels). Par ailleurs, les fractures provoquées par un développement inégal dans les domaines des infrastructures, des équipements, des cadres et des performances ne manquent pas et ne sont pas prêtes d’être réduites. Une première fracture se situe au niveau des sélections nationales. Elle sépare l’Afrique de l’Est (aucune victoire en Coupe d’Afrique des nations depuis… 1970 et aucune qualification à la Coupe du monde) du reste de l’Afrique. Une deuxième concerne les clubs, scindant les pays d’Afrique du Nord de tous les autres. La troisième relègue en bas du classement le ballon insulaire (Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Comores, Maurice, Réunion, voire Madagascar). Ces fractures se retrouvent immanquablement au niveau de l’organisation, de la couverture télévisuelle et de la commercialisation des compétitions. Enfin, depuis la réélection en mai 2002 du Suisse Joseph S. Blatter à la présidence de la Fifa (aux Mai 2013 ● Afrique Asie dépens du Camerounais Issa Hayatou, président de la Caf depuis 1988), une rupture s’est produite entre les décideurs du football africain et les joueurs, surtout les anciennes gloires. Ceux-ci sont exclus de toute structure de décision. De plus, le football africain continue de faire face à un phénomène qui n’en finit pas de l’appauvrir: le départ vers l’étranger de ses jeunes joueurs. Chaque saison, ils sont des dizaines âgés de 16 à 20 ans qui quittent les centres de formation, privés ou fédéraux, pour rejoindre les clubs européens. Si certains font beaucoup parler d’eux – tels les talentueux Académiciens formés par Jean-Marc Guillou à Abidjan dans les années 1993-1999 –, une armée d’inconnus, poussée par des « agents » peu scrupuleux ou par des dirigeants intéressés par des commissions occultes, part tenter l’aventure hors du continent. Pour beaucoup de ces candidats à l’exil, la désillusion est à la mesure des espoirs nourris: rares sont ceux à s’être imposés au top niveau et à avoir poursuivi leur progression. Les colloques se sont, çà et là, multipliés pour dénoncer le phénomène et réclamer, outre une authentique L’ÉLITE DES FOOTBALLEURS VIT HORS D’AFRIQUE, SURTOUT EN EUROPE. politique de formation pour les jeunes, la mise en place d’une législation dissuasive dans les pays « exportateurs », ainsi qu’une réglementation de la profession d’agent de joueurs. En vain. Seuls les règlements de la Fifa concernant le statut et le transfert des joueurs, entrés en vigueur le 1 er septembre 2001, tentent vainement de freiner un exode irrésistible, dont la première victime est la Ligue des clubs champions. Jamais compétition continentale des clubs n’a été aussi médiatisée, aussi couverte par la télévision. Et jamais elle n’a autant brassé d’argent depuis son lancement en 1997. Mais jamais elle n’a suscité d’engouement. Le désintérêt populaire s’explique d’une part par la formule de la Ligue des champions (dont le sponsor-titre jusqu’en 2016 est la firme de téléphonie Orange), et, d’autre part, par la qualité du jeu produite par les vainqueurs de l’épreuve, en grande majorité des clubs du nord de l’Afrique qui ont les moyens de conserver leurs meilleurs éléments et de recruter des talents. Conçue pour être une vitrine et un bon produit télévisuel, la Ligue des champions s’est heurtée aux réalités du petit écran en Afrique. Très vite, il a fallu faire un constat: seules les télévisions nationales d’Algérie, d’Égypte, du Maroc, de
Les supporters, comme ici, de l’équipe sud-africaine des Bafana-Bafana, ont bien des raisons d’être déçus par leurs joueurs nationaux. Tunisie et d’Afrique du Sud disposaient des moyens techniques adéquats et pouvaient produire et fournir des images de niveau international. Ailleurs, aucune chaîne nationale ne pouvait répondre au drastique cahier des charges édicté par le détenteur des droits. Conséquences: un flux d’images de piètre qualité, des incidents techniques à la pelle et, surtout, une désaffection du public rassasié à l’œil par des retransmissions de la Ligue des champions… d’Europe. Entre un Julius Berger Lagos-Mamelodi Sundowns Pretoria, une Jeanne d’Arc Dakar-TP Mazembe et un Barcelone- Real Madrid ou un Manchester United-Bayern de Munich, il n’y a pas photo pour le téléspectateur. En 2004, la Ligue des champions est élargie à soixante clubs. L’inflation des participants répond à des considérations clientélistes. Elle ne stimule pas l’intérêt sportif de la compétition et ne favorise pas la qualité du jeu. Elle profite en premier lieu aux plus riches: les clubs nordafricains. Les autres, paupérisés, y font de la figuration et disputent des championnats nationaux qui ne font pas recette. Avec l’exode des talents, la Mai 2013 ● Afrique Asie Coupe d’Afrique des nations est devenue la Coupe de football… afroeuropéen, la compétition des expatriés. Quelque 90 % des joueurs qui participent au tournoi final sont des professionnels employés par des clubs européens. À l’appel de leurs fédérations nationales d’origine, ils se regroupent à quelques jours des matchs internationaux et se préparent en Europe, souvent sous la conduite d’entraîneurs… européens. Ils jouent pour le passeport et permettent aux fédérations de leurs pays, SEULES LES TÉLÉVISIONS D’AFRIQUE DU NORD SATISFONT AU CAHIER DES CHARGES. D. R. qui ne les rétribuent pas, d’engranger des recettes. La présence d’Afro- Européens à la Coupe d’Afrique des nations assure à la Caf une commercialisation juteuse de la compétition. Notons aussi que, ne retrouvant pas chez eux le même environnement sportif, technique et humain que dans leurs clubs, les « expats » ne fournissent qu’un rendement bien inférieur à leurs capacités. Comme en témoignent, depuis 1998, leurs performances en Coupe du monde. En 2010, avec six représentants à la phase finale, seule une équipe – celle du Ghana – a franchi deux tours. Vingt ans auparavant, le Cameroun avait réussi le même exploit. Avec l’Égypte, il était le deuxième ambassadeur du football africain au Mondial italien. Où est alors le « bon en avant »? ◗ Un vœu pieux... En 2008, Issa Hayatou a consenti à lancer un championnat d’Afrique pour les joueurs non expatriés. La première édition eut lieu en 2009, en Côte d’Ivoire, et de la deuxième deux ans plus tard, au Soudan. Entretemps, clientélisme oblige, le président de la Caf a porté le nombre des finalistes de huit à seize. Son erreur fut aussi de refuser d’impliquer les Unions régionales de l’organisation de la compétition. Tout comme il aura perturbé les tournois que celles-ci organisent chaque année. Sa Majesté Hayatou VII affirme: « Dans vingt ou trente ans, l’Afrique sera sortie de l’ornière et son football poursuivra son ascension vers les sommets. » Amen. ■ 97
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