Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basin Öz<strong>et</strong>i<br />
28 mars 2013<br />
Des Syriens chiites membres d’une milice, à Zayta en Syrie, le 26 février.(Reuters)<br />
En Syrie, le Hezbollah<br />
sème ses milices<br />
ANALYSE ◆ Le Parti <strong>de</strong> Dieu mais aussi l’Iran ont tissé un<br />
réseau aux côtés <strong>de</strong>s loyalistes afin <strong>de</strong> défendre leurs intérêts<br />
si le régime tombait.<br />
Par JEAN-PIERRE PERRIN<br />
Mehdi Abdallah Saleh a été enterré le 24<br />
juin 2012 dans le cim<strong>et</strong>ière d’Elin, non<br />
loin <strong>de</strong> Baalbek, dans la plaine libanaise <strong>de</strong> la<br />
Bekaa. C’est le Hezbollah, lui-même, qui a<br />
annoncé que l’homme avait été tué en<br />
«accomplissant son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> jihadiste». Les<br />
funérailles <strong>de</strong> Haidar Mahmoud Zeineddine<br />
se sont déroulées à Nabatieh (sud du Liban),<br />
le 2 novembre. Même commentaire - «tué<br />
pendant sa mission jihadiste». C<strong>et</strong>te fois,<br />
c’est Al-Manar, la chaîne <strong>de</strong> télévision du<br />
parti chiite, qui a fait état <strong>de</strong> sa disparition.<br />
En revanche, jamais le lieu <strong>et</strong> les circonstances<br />
<strong>de</strong> la mort <strong>de</strong>s «jihadistes» chiites ne<br />
sont évoqués <strong>et</strong>, lors <strong>de</strong>s obsèques, les journalistes<br />
se voient interdits <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s<br />
photos. Mais pas besoin d’être <strong>de</strong>vin pour<br />
savoir que «les martyrs sacrés», pour reprendre<br />
la terminologie du Hezbollah, ont été<br />
tués en Syrie.<br />
Au départ, le Parti <strong>de</strong> Dieu a envoyé <strong>de</strong>s<br />
combattants pour protéger les villages<br />
chiites, notamment dans la région frontalière<br />
d’Al-Qoussayr, proche <strong>de</strong> Homs, le cœur<br />
battant <strong>de</strong> la révolution syrienne. Puis leur<br />
mission, au fur <strong>et</strong> à mesure que l’insurrection<br />
progressait, s’est étendue à la protection <strong>de</strong><br />
la frontière elle-même. Une zone vitale pour<br />
le Hezbollah : c’est le principal couloir<br />
d’acheminement <strong>de</strong>s armes qui lui parviennent<br />
d’Iran. Mais, à présent, les miliciens<br />
chiites libanais combattent aussi aux côtés<br />
<strong>de</strong>s forces loyalistes.<br />
ENCLAVES. Dès février 2012, un combattant<br />
du nom d’Al-Harb, originaire <strong>de</strong> la<br />
région libanaise d’Al-Cheikh, a ainsi été tué,<br />
selon le site Middle East Transparent, d’une<br />
balle dans la tête lors <strong>de</strong>s combats pour<br />
reprendre le quartier rebelle <strong>de</strong> Bab Amro. Le<br />
Hezbollah a prétendu qu’il avait été touché<br />
lors d’un exercice militaire à balles réelles.<br />
Mais le parti chiite libanais n’a pas fait<br />
qu’envoyer <strong>de</strong>s combattants. Il a développé<br />
<strong>de</strong>s avatars <strong>de</strong> sa milice dans les villages<br />
syriens chiites. A présent, sur ces localités,<br />
flotte un drapeau quasiment i<strong>de</strong>ntique à<br />
celui du Parti <strong>de</strong> Dieu, où l’on r<strong>et</strong>rouve le<br />
fameux fond jaune <strong>et</strong> l’emblématique kalachnikov<br />
qui règne sur le mon<strong>de</strong>. Et, toujours<br />
dans la région d’Al-Qoussayr, <strong>de</strong>s milices du<br />
Hezbollah affrontent désormais directement<br />
les rebelles. Sur la frontière, elles ont une<br />
liberté totale <strong>de</strong> manœuvre, l’armée libanaise<br />
étant, en partie, contrôlée par <strong>de</strong>s officiers<br />
chiites qui lui sont proches.<br />
Selon <strong>de</strong>s officiels américains travaillant sur<br />
le Proche-Orient, cités <strong>de</strong>rnièrement par le<br />
Washington Post, le Hezbollah, mais aussi<br />
l’Iran, ont commencé à m<strong>et</strong>tre en place un<br />
réseau <strong>de</strong> milices à l’intérieur <strong>de</strong> la Syrie<br />
dans le but <strong>de</strong> défendre leurs intérêts si<br />
jamais le régime <strong>de</strong> Bachar al-Assad tombait<br />
ou était obligé <strong>de</strong> quitter Damas. Si, ajoutentils,<br />
ces milices se battent aujourd’hui pour<br />
que Bachar al-Assad <strong>de</strong>meure au pouvoir,<br />
Téhéran n’exclut pas que la Syrie se fracture<br />
en enclaves communautaires, religieuses ou<br />
tribales. D’où la nécessité pour le régime iranien<br />
d’avoir, à long terme, <strong>de</strong>s unités opérationnelles<br />
dans le pays pour défendre ses<br />
intérêts. Selon un haut responsable américain,<br />
toujours cité par le quotidien américain,<br />
Téhéran soutiendrait aujourd’hui pas moins<br />
<strong>de</strong> 50 000 miliciens en Syrie.<br />
Le fer <strong>de</strong> lance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te force pro-iranienne<br />
est le Jeish al-Shabi, une milice qui recrute à<br />
la fois <strong>de</strong>s chiites syriens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s alaouites (la<br />
minorité au pouvoir en Syrie). Selon David<br />
Cohen, sous-secrétaire pour les problèmes<br />
<strong>de</strong> terrorisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> renseignements financiers<br />
au département du Trésor américain,<br />
cité par le même journal, le Jeish al-Shabi<br />
«est essentiellement une joint-venture entre<br />
les gardiens <strong>de</strong> la révolution iranien <strong>et</strong> le<br />
Hezbollah». «Les premiers apportent le<br />
financement <strong>et</strong> les armes, les seconds<br />
s’occupent <strong>de</strong> l’entraînement <strong>de</strong>s combattants,<br />
aidés aussi par <strong>de</strong>s officiers iraniens»,<br />
précise-t-il. Toujours selon le Trésor américain,<br />
«<strong>de</strong>s versements <strong>de</strong> routine <strong>de</strong> millions<br />
<strong>de</strong> dollars» sont effectués par Téhéran au<br />
profit <strong>de</strong> ces milices. Elles ont été créées sur<br />
le modèle du Bassidji, la célèbre force paramilitaire<br />
iranienne, liée aux pasdaran<br />
(Gardiens <strong>de</strong> la révolution), qui s’est notamment<br />
illustrée dans la répression <strong>de</strong>s manifestations<br />
après la victoire truquée <strong>de</strong><br />
Mahmoud Ahmadinejad à l’élection prési<strong>de</strong>ntielle<br />
<strong>de</strong> 2009.<br />
CHAOS. Or, à la différence <strong>de</strong>s shabbiha, au<br />
départ <strong>de</strong>s gangs <strong>de</strong> «fantômes» (voyous)<br />
que le régime a transformé en milices, le<br />
Jeish al-Shabi est une force confessionnelle.<br />
Elle rappelle la naissance du Hezbollah, en<br />
1982, lorsque les Gardiens <strong>de</strong> la révolution<br />
iranienne, soutenus par le régime <strong>de</strong> Hafez<br />
al-Assad, fondèrent une milice armée dans la<br />
plaine <strong>de</strong> la Bekaa libanaise, majoritairement<br />
chiite. A c<strong>et</strong>te époque, Téhéran <strong>et</strong> Damas<br />
avaient profité <strong>de</strong> la fragmentation du pays<br />
par la guerre civile <strong>et</strong> la défaillance <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Depuis, le Hezbollah est <strong>de</strong>venu la première<br />
force politique <strong>et</strong> militaire du Liban. Il a créé<br />
un état chiite au sein <strong>de</strong> l’Etat libanais, ce qui<br />
ne l’empêche pas <strong>de</strong> participer actuellement<br />
au gouvernement.<br />
Même scénario en Irak où, profitant du<br />
chaos né <strong>de</strong> l’invasion américaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
désintégration <strong>de</strong> l’Etat, Téhéran a imposé<br />
ses milices <strong>et</strong> partis, tous chiites évi<strong>de</strong>mment.<br />
En Syrie, la situation est différente car<br />
alaouites <strong>et</strong> chiites ne constituent qu’environ<br />
10% <strong>de</strong> la population. Mais si le régime d’Al-<br />
Assad perd Damas, s’il se réfugie dans le<br />
réduit alaouite du nord-ouest, si le pays se<br />
fragmente <strong>et</strong> s’enfoncent dans la guerre<br />
civile, les milices pro-iraniennes, avec l’ai<strong>de</strong><br />
du Hezbollah, épauleraient alors les forces<br />
loyalistes avec la mission d’empêcher la<br />
reconstitution d’un Etat dominé par les sunnites<br />
qui leur serait hostile.<br />
C<strong>et</strong>te solution ne serait pas idéale pour<br />
Téhéran mais lui perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> continuer,<br />
via un port ou un aérodrome, <strong>de</strong> poursuivre<br />
son objectif premier : continuer à ravitailler<br />
en armes le Hezbollah. Une hypothèse <strong>de</strong><br />
plus en plus r<strong>et</strong>enue par Washington. «Un<br />
<strong>de</strong>s scénarios dont tout le mon<strong>de</strong> parle est<br />
que les gens se replient sur leur zone… <strong>et</strong><br />
nous aurions alors une désintégration du<br />
pays, <strong>et</strong> qui sait où cela conduirait», déclarait<br />
John Kerry, le nouveau secrétaire d’Etat en<br />
janvier. ◆