Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basin Öz<strong>et</strong>i<br />
22 mars 2013<br />
"L'appel du PKK à la fin <strong>de</strong> la lutte armée<br />
n'est qu'une première étape"<br />
Propos recueillis par<br />
Hélène Sallon<br />
Le chef rebelle kur<strong>de</strong> Abdullah<br />
Öcalan a appelé, jeudi 21<br />
mars, les rebelles du Parti <strong>de</strong>s<br />
travailleurs du Kurdistan (PKK)<br />
à déposer les armes <strong>et</strong> à quitter<br />
la Turquie, affirmant que le<br />
temps était venu <strong>de</strong> "faire prévaloir<br />
la politique". Le premier<br />
ministre turc, Recep Tayyip<br />
Erdogan, a souligné<br />
l'importance <strong>de</strong> la mise en œuvre<br />
<strong>de</strong> l'appel d'Öcalan, qualifié <strong>de</strong><br />
"développement positif". Le chef<br />
du gouvernement a ajouté que la<br />
Turquie cessera ses opérations<br />
militaires contre les Kur<strong>de</strong>s si le<br />
PKK cesse les siennes. A quatre<br />
reprises déjà <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong><br />
sa rébellion en 1984, Abdullah<br />
Öcalan a proclamé <strong>de</strong>s cessez-lefeu<br />
unilatéraux. Jamais jusquelà<br />
ils n'ont permis <strong>de</strong> déboucher<br />
sur une solution. C<strong>et</strong>te fois, le<br />
gouvernement comme les<br />
rebelles semblent déterminés à<br />
parvenir à la paix.<br />
Jean Marcou, spécialiste <strong>de</strong> la<br />
Turquie <strong>et</strong> professeur-chercheur<br />
à l'<strong>Institut</strong> d'étu<strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong><br />
Grenoble, décrypte les tenants <strong>et</strong><br />
les aboutissants <strong>de</strong> c<strong>et</strong> appel au<br />
cessez-le-feu.<br />
L'appel au cessez-le-feu<br />
lancé par le chef du PKK a-til,<br />
selon vous, <strong>de</strong> bonnes<br />
chances <strong>de</strong> se concrétiser<br />
par un processus <strong>de</strong> paix ?<br />
Oui, car il n'y a pas qu'un cessezle-feu,<br />
il y a également la<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux combattants du<br />
PKK <strong>de</strong> quitter le territoire. C'est<br />
un engagement pour lancer un<br />
processus d'abandon <strong>de</strong> la lutte<br />
armée. Les autres cessez-le-feu<br />
avaient été déclarés hors <strong>de</strong><br />
toutes négociations <strong>et</strong> contacts<br />
avec le gouvernement turc. Celuici<br />
intervient dans le cadre du<br />
processus dit d'Imrali, du nom <strong>de</strong><br />
l'île où est emprisonné Abdullah<br />
Öcalan, lancé fin 2012. Ce processus<br />
a débuté par <strong>de</strong>s contacts<br />
entre Öcalan <strong>et</strong> <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s<br />
services <strong>de</strong> renseignement, mais<br />
s'est surtout traduit, entre janvier<br />
<strong>et</strong> mars, par la visite <strong>de</strong> députés<br />
du Parti pour la paix <strong>et</strong> la démoc-<br />
ratie – BDP (kur<strong>de</strong>). Ils ont transmis<br />
<strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tres du chef du PKK<br />
aux comman<strong>de</strong>ments kur<strong>de</strong>s, en<br />
Irak <strong>et</strong> en Europe, qui dressent<br />
une feuille <strong>de</strong> route qui tient lieu<br />
<strong>de</strong> cadre pour un accord <strong>de</strong> paix.<br />
Ces contacts étaient importants.<br />
Öcalan étant emprisonné <strong>de</strong>puis<br />
1999, beaucoup se sont interrogés<br />
sur sa capacité à impulser, à lui<br />
seul, un tel processus. Il avait<br />
confirmé son influence déterminante<br />
à l'automne 2012 en<br />
obtenant la fin <strong>de</strong> la grève <strong>de</strong> la<br />
faim <strong>de</strong>s prisonniers kur<strong>de</strong>s. Il<br />
<strong>de</strong>vait encore prouver qu'il avait<br />
les moyens <strong>de</strong> lancer un processus<br />
<strong>de</strong> paix. Il a reçu <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>ments<br />
en Irak <strong>et</strong> en<br />
Europe <strong>de</strong>s réponses positives, ce<br />
qui lui a permis d'aller plus loin <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> lancer le processus.<br />
Quelles conditions ont permis<br />
<strong>de</strong> lancer ce processus<br />
<strong>de</strong> négociations ?<br />
Du côté du gouvernement turc,<br />
l'arrivée du Parti pour la justice <strong>et</strong><br />
le développement (AKP) au pouvoir<br />
en 2002 a permis <strong>de</strong> changer<br />
la donne, car l'AKP a exprimé au<br />
début une vision un peu moins<br />
nationaliste <strong>et</strong> donc une autre<br />
approche <strong>de</strong> la question kur<strong>de</strong>.<br />
L'ouverture <strong>de</strong>s négociations avec<br />
l'Union européenne, après la déclaration<br />
officielle <strong>de</strong> candidature<br />
<strong>de</strong> la Turquie en 1999, a favorisé<br />
ce processus. Le toil<strong>et</strong>tage constitutionnel<br />
auquel s'est prêté le<br />
gouvernement turc entre 1999 <strong>et</strong><br />
2005 a permis d'améliorer la situation<br />
<strong>de</strong>s Kur<strong>de</strong>s. Pendant<br />
longtemps, l'AKP s'est toutefois<br />
servi du prétexte que l'armée bloquait<br />
toute résolution <strong>de</strong> la question<br />
kur<strong>de</strong> pour ne rien faire.<br />
Avec le changement d'équilibre<br />
politique au sein du pays, qui se<br />
traduit <strong>de</strong>puis quelques années<br />
par un effacement du rôle <strong>de</strong><br />
l'armée, l'AKP apparaît désormais<br />
comme pleinement responsable<br />
<strong>de</strong> la question kur<strong>de</strong>. De fait,<br />
<strong>de</strong>puis 2009 <strong>et</strong> l'ouverture<br />
démocratique, l'AKP a tenté à<br />
plusieurs reprises <strong>de</strong> résoudre<br />
c<strong>et</strong>te question en lançant <strong>de</strong>s<br />
processus <strong>de</strong> négociations.<br />
A Diyarbakir, le 21 mars. A Diyarbakir, le 21 mars. | AP<br />
L'échec ou l'enlisement <strong>de</strong> ces<br />
négociations a débouché dès l'été<br />
2011 sur une reprise intense <strong>de</strong> la<br />
guérilla, marquée par <strong>de</strong>s<br />
attaques spectaculaire du PKK.<br />
Cela a définitivement convaincu<br />
le gouvernement que le problème<br />
kur<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait être résolu. D'autant<br />
que l'échec <strong>de</strong>s tentatives <strong>de</strong> marginalisation<br />
<strong>de</strong>s formations politiques<br />
kur<strong>de</strong>s dans le sud-est du<br />
pays a montré qu'il y a un fait<br />
politique kur<strong>de</strong>. C<strong>et</strong> enlisement a<br />
également montré qu'on ne pouvait<br />
pas ignorer le PKK dans les<br />
négociations, comme ça avait été<br />
le cas en 2009 <strong>et</strong> 2011. Par<br />
ailleurs, l'agenda kur<strong>de</strong> a croisé<br />
l'agenda constitutionnel turc. On<br />
prête au gouvernement AKP le<br />
souhait <strong>de</strong> modifier la<br />
Constitution pour instaurer un<br />
régime prési<strong>de</strong>ntiel, avec Recep<br />
Tayyip Erdogan pour prési<strong>de</strong>nt.<br />
L'idée d'un marchandage en ce<br />
sens a été clairement évoquée lors<br />
<strong>de</strong> visites <strong>de</strong>s députés du BDP à<br />
Öcalan. Le quotidien Milliy<strong>et</strong><br />
avait ainsi parlé d'un accord entre<br />
Öcalan <strong>et</strong> le PKK pour perm<strong>et</strong>tre<br />
à Erdogan <strong>de</strong> rester au pouvoir<br />
jusqu'en 2023, en créant un<br />
régime prési<strong>de</strong>ntiel dans lequel il<br />
serait le prési<strong>de</strong>nt.<br />
L'évolution <strong>de</strong> la situation<br />
<strong>de</strong>s Kur<strong>de</strong>s dans les autres<br />
pays <strong>de</strong> la région a-t-elle<br />
influencé aussi ce processus<br />
<strong>de</strong> négociations ?<br />
Sur le plan géopolitique, les<br />
"printemps arabes" <strong>et</strong> notamment<br />
la crise syrienne ont suscité<br />
une déstabilisation pour la<br />
Turquie <strong>et</strong> créé une fenêtre<br />
d'opportunité pour les Kur<strong>de</strong>s. Il<br />
n'y a jamais eu autant<br />
d'opportunités pour la création<br />
d'un Grand Kurdistan. On répète<br />
souvent le slogan "printemps<br />
arabe, été kur<strong>de</strong>". Depuis l'été<br />
2012, les troupes <strong>de</strong> Bachar Al-<br />
Assad ont évacué le nord <strong>de</strong> la<br />
Syrie, livrant la région à la<br />
branche armée du PKK. Cela<br />
inquiète les Turcs car il peut y<br />
avoir la création, au moins <strong>de</strong> fait,<br />
d'une zone d'influence kur<strong>de</strong><br />
autonome dans le nord <strong>de</strong> la<br />
Syrie. Ce n'est pas un problème<br />
en soi pour la Turquie. Le problème<br />
est davantage <strong>de</strong> savoir qui<br />
va contrôler c<strong>et</strong>te zone. La<br />
Turquie a peur que la question<br />
kur<strong>de</strong> soit instrumentalisée par<br />
les ennemis qu'elle s'est faits avec<br />
la crise syrienne : le gouvernement<br />
<strong>de</strong> Damas <strong>et</strong> l'Iran.<br />
Pourquoi le PKK avait-il lui<br />
aussi intérêt à entrer dans<br />
un processus <strong>de</strong> négociations<br />
pour m<strong>et</strong>tre fin à la<br />
lutte armée ?<br />
Le PKK est malgré tout une<br />
organisation en perte <strong>de</strong> vitesse.<br />
Il a encore <strong>de</strong>s combattants <strong>et</strong> a<br />
montré l'année <strong>de</strong>rnière qu'il<br />
pouvait continuer à entr<strong>et</strong>enir<br />
une guerre civile larvée, mais il<br />
n'a pas réussi à prendre le contrôle<br />
<strong>de</strong> portions du territoire<br />
turc. Les équilibres politiques en<br />
Turquie ont changé. Le système<br />
s'est ouvert ces <strong>de</strong>rnières années,<br />
ce qui a empêché un "été kur<strong>de</strong>".<br />
C<strong>et</strong>te évolution politique s'est<br />
accompagnée d'une évolution<br />
économique, d'un développement<br />
dont ont aussi profité les<br />
provinces kur<strong>de</strong>s. La lutte armée<br />
n'apparaît plus aussi ➤<br />
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