Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basin Oz<strong>et</strong>i<br />
ieîlîonik<br />
Dimanche 17 - Lundi 18 mars 2013<br />
Le martyre <strong>de</strong> la ville kur<strong>de</strong> d'Halabja<br />
L'attaque <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te localité du nord-est <strong>de</strong> l'Irak par Saddam Hussein en 1988<br />
reste, jusqu'à aujourd'hui, le cas le plus grave d'utilisation par un Etat<br />
<strong>de</strong> l'arme chimique contre sa population<br />
(presque) plus<br />
personne n'en parle<br />
Christophe Ayad<br />
A l'heure où l'on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si<br />
BacharAl-Assad recourra infine à<br />
l'arme chimique pour défendre<br />
son pouvoirvacillant, le souvenir<br />
du massacre d'Halabja proj<strong>et</strong>te son ombre<br />
à un quart <strong>de</strong> siècle <strong>de</strong> distance. Le soir du<br />
16 mars 1988, après <strong>de</strong>s bombar<strong>de</strong>ments,<br />
les Mig <strong>et</strong> Mirage <strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong> l'air irakien¬<br />
ne menaient une série <strong>de</strong> raids <strong>de</strong>stinés à<br />
larguer<strong>de</strong>sbombes chimiques au gaz mou¬<br />
tar<strong>de</strong>, gaz sarin, à l'agent VX <strong>et</strong> au tabun. A<br />
la fin <strong>de</strong> l'attaque, cinq heures plus tard, un<br />
nuage épais, blanc puis jaune, s'élevait<br />
au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la ville kur<strong>de</strong>.<br />
Au sol, les habitants pris au piège ont<br />
commencé par sentir une o<strong>de</strong>ur un peu<br />
éc <strong>de</strong> pomme. Mais, très vite, nom¬<br />
bre d'entre eux s'effondrent, les uns d'un<br />
d'autres dans d'atroces souffrances,<br />
étouffés <strong>de</strong> rire, vomissant leur bile ou<br />
encore la peau en feu. Ceux qui peuvent<br />
s'enfuient à pied, un chiffon sur la bouche,<br />
dans la direction <strong>de</strong> la frontière iranienne<br />
toute proche. Le len<strong>de</strong>main, quand ils<br />
reviennent, Halabja est une ville morte.<br />
Même le chant <strong>de</strong>s oiseaux s'est tu.<br />
L'attaque d'Halabja a causé entre 3 500<br />
<strong>et</strong> 5 000 morts <strong>et</strong> <strong>de</strong> 7 000 à 10 000 blessés.<br />
Il est impossible <strong>de</strong> chiffrer les séquelles<br />
<strong>de</strong>s survivants <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>scendants tant<br />
elles ont pris <strong>de</strong>s tours multiples : taux<br />
anormalement élevés <strong>de</strong> cancers (dix fois<br />
plus <strong>de</strong> cancers du colon), <strong>de</strong> fausses cou¬<br />
ches (quatorze fois plus que la normale), <strong>de</strong><br />
maladies mentales, d'infertilité ou <strong>de</strong> mal¬<br />
formations. Ce cas d'utilisation par un Etat<br />
<strong>de</strong> l'arme chimique contre sa propre popu¬<br />
lation civile reste à ce jour le plus grave.<br />
Pourquoi Halabja ? La guerre entre l'Iran<br />
<strong>et</strong> l'Irak touchait à sa fin, Saddam Hussein<br />
avait décidé <strong>de</strong>punir les combattants sépa¬<br />
ratistes kur<strong>de</strong>s - les peshmergas- d'avoir<br />
trahi <strong>et</strong> prêté main-forte à l'Iran, qui occu<br />
py,<br />
s&<br />
i.- * v-<br />
V><br />
V<br />
paunbrefmoment c<strong>et</strong>te régionfrontalière<br />
à 250 kilomètres au nord-est <strong>de</strong> Bagdad. La<br />
punition prend la forme d'une campagne<br />
militaire baptisée «Anfal» («butin»), qui<br />
s'étend sur <strong>de</strong>ux années, en 1987-1988. C<strong>et</strong>¬<br />
te campagne s'est soldée par la <strong>de</strong>struction<br />
<strong>de</strong> 2000 villages kur<strong>de</strong>s <strong>et</strong> d'une douzaine<br />
<strong>de</strong> villes, le bétonnage <strong>de</strong> puits <strong>et</strong> l'incendie<br />
<strong>de</strong> terres arables. Le but <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opération,<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> punir les Kur<strong>de</strong>s, était <strong>de</strong> les<br />
repousservers le nor<strong>de</strong>t <strong>de</strong> les chasser<strong>de</strong> la<br />
riche province pétrolière <strong>de</strong> Kirkouk. Quel¬<br />
que 200 000 Kur<strong>de</strong>s furent exterminés, ce<br />
qui fit conclure à l'ONG Human Rights<br />
Watch à un «génoci<strong>de</strong>». Une qualification<br />
reprise le 28 février 2013 par le Parlement<br />
britannique <strong>et</strong>, quelques semaines plus<br />
tôt, par ceux <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Norvège. Dans<br />
une l<strong>et</strong>tre ouverte, cinq parlementaires<br />
français <strong>et</strong> l'ancien ministre <strong>de</strong>s affaires<br />
étrangères Bernard Kouchner <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />
que la France adopte la même position.<br />
Halabja n'est pas le seul endroit où l'ar¬<br />
me chimique a été utilisée au Kurdistan <strong>et</strong><br />
le commandant <strong>de</strong>s opérations dans le<br />
nord <strong>de</strong> l'Irak, Ali Hassan Al-Majid, cousin<br />
<strong>de</strong> Saddam Hussein, y gagne le surnom<br />
d'« Ali le Chimique». Au terme du décr<strong>et</strong><br />
>t>' *?<br />
.*. v.-<br />
Entre 3 500 <strong>et</strong><br />
5 000 Kur<strong>de</strong>s<br />
d'Halabja (250 km<br />
au nord-est <strong>de</strong><br />
Bagdad) sont morts<br />
au cours d'attaques<br />
chimiques lancées<br />
par l'armée<br />
irakienne,<br />
le 16 mars 1988.<br />
160 signé par Saddam Hussein, il disposait<br />
<strong>de</strong>s pleins pouvoirs pour « tuer tout être<br />
humain ou animal» dans la région. Jugé<br />
après l'invasion<strong>de</strong> l'Iraken 2003, ilfut pen¬<br />
du le 25 janvier 2010 <strong>et</strong> la cor<strong>de</strong> ayant servi<br />
à sonexécutionfutofferte à laville d'Halab-<br />
j a par le gouvernement du Kurdistan auto¬<br />
nome. Détruiteau bulldozerparl'armée ira¬<br />
kienne, Halabja ne s'est jamais vraiment<br />
remise <strong>de</strong> son calvaire. Les corps <strong>de</strong>s victi¬<br />
mes ont été enterrés à la pell<strong>et</strong>euse par le<br />
régime <strong>de</strong> Saddam. La population reste<br />
traumatisée <strong>et</strong> subit encore les séquelles <strong>de</strong><br />
l'agression. Le 16 mars 2006, à l'occasiondu<br />
18e anniversaire <strong>de</strong> l'attaque, une manifes¬<br />
tation contre les autorités locales, accusées<br />
<strong>de</strong> profiter du martyre d'Halabja sans ren¬<br />
dre son dû à la ville, a été réprimée à balles<br />
réelles, causant un mort <strong>et</strong> la stupeur <strong>de</strong>s<br />
survivants.<br />
Dernier suj<strong>et</strong> d'amertume <strong>de</strong>s habi¬<br />
tants, les Etats-Unis ont attendu la fin <strong>de</strong>s<br />
années 1990, c'est-à-dire après l'invasion<br />
du Koweït, pour enfin attribuer le massa¬<br />
cre d'Halabja àl'Irak<strong>et</strong> nonpas à l'Iran, com¬<br />
me continuait à le faire Saddam Hussein<br />
malgré l'évi<strong>de</strong>nce. Un déni dans lequel il a<br />
persisté jusque pendant son procès.