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Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basin Öz<strong>et</strong>i<br />

Par Boris Mabillard<br />

14 mars 2013<br />

Les amazones insurgées du PKK<br />

Des milliers <strong>de</strong> femmes kur<strong>de</strong>s ont pris les armes au sein <strong>de</strong> la guérilla<br />

Avasin a grandi dans la violence, entre<br />

Bingöl <strong>et</strong> Diyarbakir dans l’est <strong>de</strong><br />

l’Anatolie. Elle a vu l’insoutenable, elle<br />

était encore toute p<strong>et</strong>ite. Pour transcen<strong>de</strong>r<br />

l’horreur <strong>et</strong> échapper à un <strong>de</strong>stin prévisible,<br />

elle a rejoint, il y a une quinzaine<br />

d’années, la guérilla du Parti <strong>de</strong>s travailleurs<br />

du Kurdistan (PKK). Elle n’avait pas<br />

16 ans. Nombreuses sont les femmes à<br />

avoir gagné la rébellion. Comme Julia, ou<br />

comme les trois militantes assassinées à<br />

<strong>Paris</strong>, le 9 janvier <strong>de</strong>rnier. Elles prennent<br />

les armes pour défendre les droits <strong>et</strong> la<br />

dignité du peuple kur<strong>de</strong>, autant qu’elles<br />

fuient la misère <strong>et</strong> le carcan <strong>de</strong> traditions<br />

patriarcales. Derrière le combat <strong>de</strong>s insurgés<br />

kur<strong>de</strong>s se <strong>de</strong>ssine en filigrane une lutte<br />

pour l’émancipation <strong>de</strong>s femmes.<br />

Une photo montre Sakine Cansiz,<br />

l’une <strong>de</strong>s trois victimes du meurtre <strong>de</strong><br />

<strong>Paris</strong>, en treillis kaki à côté d’Abdullah<br />

Ocalan, le fondateur <strong>et</strong> lea<strong>de</strong>r historique<br />

du PKK. Ils se tiennent <strong>de</strong>bout sur une<br />

estra<strong>de</strong> en bois, côte à côte. C’était probablement<br />

en 1992. Présente dès la création<br />

du parti en 1978, Sakine Cansiz est la première<br />

femme à atteindre le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

hiérarchie. Inspiré par le marxisme, pétri<br />

<strong>de</strong> lutte <strong>de</strong>s classes <strong>et</strong> d’égalitarisme,<br />

Abdullah Ocalan veut libérer les Kur<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> toutes les oppressions. Il voit dans la<br />

promotion <strong>de</strong> l’égalité <strong>de</strong>s sexes un bélier<br />

pour transformer la société kur<strong>de</strong>, tribale,<br />

féodale <strong>et</strong> par nature conservatrice. Sakine<br />

Cansiz crée le front <strong>de</strong>s femmes, qui<br />

<strong>de</strong>vient un mouvement au sein du mouvement,<br />

avec sa propre organisation militaire.<br />

Le PKK affine sa rhétorique <strong>et</strong> fait<br />

<strong>de</strong> l’émancipation <strong>de</strong>s femmes un combat<br />

autant qu’un argument <strong>de</strong> recrutement.<br />

Dans les années nonante, les femmes<br />

représentent jusqu’à 30% <strong>de</strong>s combattants<br />

<strong>de</strong> l’armée clan<strong>de</strong>stine <strong>et</strong> il y aurait encore<br />

aujourd’hui près d’un quart <strong>de</strong> femmes<br />

parmi les 5000 rebelles armés. D’autres<br />

guérillas d’extrême gauche ont recruté <strong>de</strong>s<br />

femmes, mais pas dans la même proportion.<br />

Elles partagent les mêmes tâches que<br />

les hommes, manient les mêmes armes,<br />

s’entraînent <strong>de</strong> même, portent le même<br />

treillis assorti d’une longue ceinture <strong>de</strong><br />

tissu. La coiffure diffère, les cheveux sont<br />

portés longs, noués en queue-<strong>de</strong>-cheval,<br />

<strong>de</strong>rnier signe d’une féminité d’amazone.<br />

Les familles furent dans un premier temps<br />

opposées à laisser partir les filles vers une<br />

activité réservée normalement aux<br />

hommes, mais l’interdiction stricte <strong>de</strong>s<br />

Une combattante du PKK. (AFP)<br />

rapports sexuels au sein <strong>de</strong> la guérilla, <strong>de</strong><br />

toute activité récréative, l’alcool est proscrit<br />

aussi, eut raison <strong>de</strong>s réticences.<br />

Sa longue chevelure d’ébène, lisse,<br />

encadre un visage émacié aux traits<br />

volontaires. Avasina a du mal à respirer,<br />

elle se relève, rapproche sa chaise, presque<br />

hal<strong>et</strong>ante. Il y a la méfiance, la peur <strong>de</strong> se<br />

faire dénoncer, mais surtout l’émotion. Par<br />

où commencer? Il y a tant à dire: «La souffrance,<br />

la prison, la torture, les opérations,<br />

les morts, les injustices, les amis.» Avasin<br />

n’est pas son vrai nom, ça signifie bleu<br />

comme l’eau vive <strong>de</strong>s torrents, un nom <strong>de</strong><br />

guerre répandu parmi les combattantes du<br />

PKK. Elle est née à Diyarbakir, en 1983,<br />

mais gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s liens très forts avec son village<br />

<strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Bingöl. Et r<strong>et</strong>ourne<br />

souvent l’été dans ce qu’elle considère<br />

comme sa vraie maison. C’est là, dans la<br />

campagne alentour où ses jeux d’enfant la<br />

ramènent sans cesse, qu’elle rencontre<br />

pour la première fois les rebelles. Elle n’a<br />

pas 10 ans.<br />

«Une nuit, à Diyarbakir, j’ai été réveillée<br />

par <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu, ma mère m’a pris<br />

dans les bras pour me protéger <strong>de</strong>s balles<br />

perdues: lorsque le silence est revenu, j’ai<br />

vu les corps, le sang, quatre jeunes<br />

hommes présentés plus tard comme <strong>de</strong>s<br />

rebelles avaient été liquidés par les forces<br />

<strong>de</strong> l’ordre en bas <strong>de</strong> chez nous. L’un d’eux<br />

avait même tenté <strong>de</strong> se réfugier dans notre<br />

allée, où les militaires l’ont débusqué. Je<br />

me souviens encore <strong>de</strong> ses cris, <strong>de</strong> ses<br />

dénégations pour dire qu’il n’avait rien à<br />

voir avec le PKK, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s insultes proférées<br />

par les militaires. Je me suis dit que nous<br />

les Kur<strong>de</strong>s étions seuls, <strong>et</strong> j’ai senti pour la<br />

première fois l’injustice dont nous étions<br />

victimes en tant que peuple.»<br />

Au milieu <strong>de</strong>s années nonante, la<br />

répression culmine avec la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong><br />

milliers <strong>de</strong> villages, soupçonnés d’abriter<br />

ou d’appuyer les rebelles. Durant ces<br />

années noires, aucune famille n’est épargnée.<br />

Les violences policières radicalisent<br />

la rébellion qui voit ses rangs grossir. La<br />

figure du rebelle qui résiste aux oppresseurs<br />

<strong>de</strong>vient populaire. «Toute ma famille<br />

sympathise avec la rébellion. Une soixantaine<br />

<strong>de</strong> membres du clan auquel nous<br />

appartenons, parents proches ou éloignés,<br />

ont rejoint le PKK.» Un oncle a embrassé<br />

la cause révolutionnaire, il est appréhendé<br />

<strong>et</strong> meurt peu après en détention. Son corps<br />

est suspendu à un filin, treuillé par un hélicoptère,<br />

<strong>et</strong> exhibé au-<strong>de</strong>ssus du village.<br />

La violence s’immisce aussi dans le<br />

foyer d’Avasin; son père, battu par <strong>de</strong>s<br />

compagnons d’armes alors qu’il effectue<br />

son service militaire en 1980, gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis<br />

<strong>de</strong>s séquelles psychologiques invalidantes.<br />

«Il ne se rase pas lui-même», raconte-telle.<br />

«Il <strong>de</strong>venait parfois violent, battait ma<br />

mère. Une fois, il a tenté <strong>de</strong> me j<strong>et</strong>er par la<br />

fenêtre, ma mère s’est interposée <strong>et</strong> a pris<br />

les coups.»<br />

Avasin quitte l’école avant la fin <strong>de</strong> sa<br />

scolarité, «ma famille avait <strong>de</strong>s préjugés<br />

sur le rôle <strong>de</strong>s filles, je n’avais pas le droit<br />

<strong>de</strong> porter <strong>de</strong> pantalons, ni <strong>de</strong> parler en<br />

public. Les activités autorisées aux filles<br />

étaient limitées», <strong>et</strong> l’école n’en faisait pas<br />

partie. «Je me suis rendu compte <strong>de</strong> ce<br />

déséquilibre plus tard lors d’un me<strong>et</strong>ing<br />

tenu par un parti pro-kur<strong>de</strong>, proche du<br />

PKK, <strong>de</strong>s femmes parlaient dans un microphone<br />

<strong>de</strong>vant un parterre mixte. Il était<br />

question <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>s femmes.» Elle<br />

rejoint le PKK tout naturellement, en rendant<br />

<strong>de</strong> p<strong>et</strong>its services. «Nous étions <strong>de</strong>ux<br />

copines, nous parlions <strong>de</strong> faire le pas;<br />

<strong>de</strong>venir militante avec une arme, cela faisait<br />

rêver. J’y suis allée, pas elle. Je l’ai<br />

revue il y a quelques semaines par hasard,<br />

elle regr<strong>et</strong>te <strong>de</strong> ne pas m’avoir suivie. Et<br />

moi, j’ai vu à quoi j’avais échappé: un<br />

mari non désiré, qui me forcerait à porter<br />

un foulard <strong>et</strong> une longue jupe sombre.»<br />

Après son engagement dans le PKK, la<br />

réalité la rattrape vite, elle se fait arrêter<br />

<strong>et</strong> condamner <strong>de</strong> manière expéditive à<br />

sept ans <strong>de</strong> prison, pour complicité. «Ils<br />

n’ont heureusement pas pu prouver mon<br />

affiliation au mouvement, j’aurais pu écoper<br />

d’une peine plus lour<strong>de</strong>.» Pendant les<br />

quatre années <strong>et</strong> huit mois qu’elle passe<br />

effectivement <strong>de</strong>rrière les barreaux, Avasin<br />

en apprend plus sur les Kur<strong>de</strong>s, sur le<br />

mouvement féministe que dans le reste <strong>de</strong><br />

sa vie, «dans la prison, il y avait beaucoup<br />

<strong>de</strong> militantes. Elles aidaient <strong>et</strong> encadraient<br />

les autres détenues. La journée se partageait<br />

entre différentes activités éducatives,<br />

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