Bulletin Janvier 2012 - snclf
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<strong>Bulletin</strong> de la Société de Neurochirurgie de Langue Française<br />
admettre l’inéluctable, non sans quelques réserves acrimonieuses.<br />
Il disait que nous sommes en train de former des générations<br />
de neurochirurgiens qui n’auront jamais l’occasion<br />
de regarder, les yeux dans les yeux, un anévrisme de carotide.<br />
Castel, avec un petit groupe de collègues de sa génération très<br />
actifs et complices, a toujours été fort impliqué dans la vie de<br />
notre communauté nationale. Dans les années 90 il accéda aux<br />
responsabilités, d’abord président de la Société Française de<br />
Neurochirurgie, président débonnaire et efficace, il fut ensuite<br />
pour cinq ans rédacteur en chef de « Neurochirurgie », Etant<br />
membre de son comité de rédaction et tout proche de lui, j’ai<br />
été le témoin direct de son infatigable activité au service de la<br />
revue. Il engagea un travail de fond systématique: quête des<br />
manuscrits, développement du lectorat, renouvellement et<br />
encadrement des lecteurs correcteurs. Il effectuait lui même.<br />
au service de manuscrits souvent maladroits, un travail éditorial<br />
de mise en forme patient et... diplomatique.<br />
Dans les années suh’antes Castel, à tous les niveaux et dans différents<br />
cadres, participa de plus en plus aux activités pédagogiques<br />
de notre spécialité. Il aimait et il savait transmettre son<br />
expérience et son savoir, il ne manquait jamais les cours, les<br />
réunions pédagogiques organisées ici ou là. Il participait avec<br />
enthousiasme à l’enseignement du DES, bien sur, et il appréciait<br />
les rencontres régionales avec nos amis de Clermont, de<br />
Limoges, de Toulouse. Il portait quelque fois très haut le niveau<br />
des cours de DEA de sciences chirurgicales et il était encore<br />
corvéable pour contribuer aux deux sessions annuelles du DIU<br />
de traumatologie crânienne que nous avions fondé ensemble.<br />
Vint le temps de la retraite. Il fit valoir ses droits à l’heure<br />
prescrite par la règle, sans s’encombrer de la consolation de<br />
quelque « consultanat ». Il fut alors sollicité avec une insistance<br />
pur aller poursuivre son activité chirurgicale à l’étranger.<br />
Mais enfin il savait bien dans son for intérieur que sa chirurgie<br />
était en quelque sorte aboutie et qu’il n’irait pas plus loin. Et il<br />
n’avait, certes, jamais eu la tentation de l’argent.<br />
Surtout il avait une autre idée : la solitude des hommes, sous<br />
ses multiples visages, l’interpellait et depuis toujours l’angoissait<br />
Il y avait beaucoup réfléchi, il en parlait souvent : aucun<br />
des nombreux systèmes d’entraide existants ne lui paraissait<br />
apporter ce qu’il sentait l’essentiel et le plus simple: l’attention,<br />
u.ne présence discrète...<br />
Après un ou deux mois de contacts, il fondait une association<br />
nouvelle « Allo ! Comment va? ». L’idée était d’appeler au téléphone<br />
une ou deux fois par semaine telle personne repérée<br />
ou signalée pour son isolement, quelqu’en soit la raison et le<br />
contexte. Juste pour lui dire avec gentillesse que quelqu’un<br />
était là, au bout du fil, qui pensait à elle, qui était prêt à l’écouter.<br />
Il recruta des bénévoles, d’abord pour la plus part d’anciennes<br />
infirmières de notre service, parla longtemps avec elles, bâtit<br />
un projet, déposa des statuts et démarra. Le succès fut instantané,<br />
après quelques mois il était déjà débordé et heureux. Il<br />
fallut donner à tout ce dispositif un cadre administratif, une organisation<br />
plus ferme. Il trouva auprès des services sociaux de<br />
la Mairie de Bordeaux un appui immédiat L’entourage de notre<br />
Maire comprit vite l’envergure de ce nouveau venu, aimable<br />
et efficace. Le jour de sa disparition, il avait passé tout l’aprèsmidi<br />
à travailler à la Mairie.<br />
Sa préoccupation constante était de préserver l’intime et le<br />
personnel de chaque relation poursuivie. Chaque jour il passait<br />
lui même en fin d’après midi une ou deux heures à écouter<br />
ses « petites vielles» comme il disait L’association « Allo ! Comment<br />
va? » lui a donné le meilleur de ses dernières années.<br />
Castel et moi, nous tenions fortement à l’entente singulière qui<br />
était la notre.<br />
Castel était un homme rare, dense et subtil, grave et malicieux.<br />
On savait qu’il était là et qu’il serait là où on l’attendait, toujours,<br />
exactement. Mais on ne savait jamais à quel moment il allait<br />
survenir sans être attendu. Bien souvent vers le soir, quand<br />
l’hôpital s’éteint, il faisait irruption dans mon bureau. Les problèmes<br />
du service avaient été discutés et réglés avant et ailleurs.<br />
Venaient entre nous’des morceaux du monde qui, l’un<br />
ou l’autre, nous avaient touché. C’était le bleu des palombes<br />
en novembre, la mort, de son chien, les premières tentatives<br />
de surf à Biarritz...<br />
Depuis ma retraite et plus souvent depuis la sienne, il arrivait<br />
tout aussi inopinément chez moi. Il revenait de Berne, d’une<br />
longue visite à Klee. De Klee il aimait les géométries enchantées,<br />
les couleurs rabattues. Ou encore il m’apportait le dernier<br />
CD de Martha Argerich, la belle vieille dame argentine, pour<br />
qui il gardait une dilection particulière : telle pièce de Schumann<br />
aux phrases brisées, suspendues.<br />
Je me sou\iens d’une image de Rilke: tu lances en l’air ta balle,<br />
à quoi tu tiens, tu la rattrapes, tu n’as rien gagné. L’autre lance<br />
sa balle vers toi, la balle emprunte dans le ciel un de ces grands<br />
ponts qu’un dieu a bâti, tu la rattrapes, tu as gagné un monde.<br />
Dans nos rencontres impromptues, pour un moment nous<br />
échangions nos balles les plus belles.<br />
Maintenant i1 est entré dans l’énigme de la mort. Ses obsèques<br />
ont été simples et brèves, dans cette cathédrale de<br />
Bayonne où il avait été baptisé. Plusieurs de ses meilleurs amis<br />
neuroch1rurgiens étaient présents, encore saisis par ce départ<br />
abrupt.<br />
Rosemarie, sa femme, Pierre et Antoine, ses fils, Marie Hélène,<br />
sa soeur ont bien senti combien la communauté neurochirurgicale<br />
prenait part à leur deuil, était en deuil.<br />
Il nous manque. Nous n’allons pas enfermer son souvenir dans<br />
notre manque. Pour chacun de nous, quelque soit l’intimité<br />
des échanges que nous avons eu avec lui, il a été un homme<br />
de vérité et de loyauté, un grand professionnel, un ami sensible.<br />
Nous sommes reconnaissants de l’avoir connu; il nous<br />
a fait ce don inestimable du respect et de l’attachement que<br />
nous avons pour lui.<br />
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