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CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

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FLAUBERT g.j<br />

influence capitale, je ne saurais trop le répéter, sur l'imagination de Flaubert. Ce fut<br />

pour lui, en quelque sorte, le paradis enlr'ouvert. Celte lumière qu'il avait rapportée<br />

de là-bas fit resplendir les couleurs jusque-là un peu ternes de son style; la netteté des<br />

contours qu'il avait contemplés lui enseigna la phrase nette, sobre et polie de ses<br />

romans ultérieurs. Les humanités arriérées, les spectacles archaïques, les décors<br />

antiques enfin qu'il eut sous les yeux, lui firent pénétrer les profondeurs de l'histoire;<br />

le présent lui apprit à déchiffrer le passé. Mais par-dessus tout, ces voyages aux pays<br />

de lumière mirent de la joie dans sa pensée et dans son imagination, la seule joie dont<br />

il fut capable, une joie tout intellectuelle et tout esthétique.<br />

Flaubert, Mesdames et Messieurs, resta longtemps sous l'influence heureuse de<br />

ces voyages orientaux. De i852 à 1870, il semble avoir oublié son mal, ou tout au<br />

moins en avoir pris son parti. Ce pessimiste s'accommode de la vie, en se résignant à<br />

ne demander qu'à l'art toutes ses satisfactions. Notons d'ailleurs que sa carrière lui<br />

ménage quelques consolations d'amour-propre. Il a réussi, il est devenu un écrivain<br />

célèbre, il est admis à Compiègne, il est reçu chez la princesse Mathilde. Enfin,<br />

entraîné par l'exemple de ses amis, Renan et Berthelot, il n'est pas loin de croire que<br />

l'humanité, cette humanité dont il pense tant de mal, peut tout de même s'améliorer<br />

grâce à la culture et grâce à l'organisation scientifique. Et puis voilà qu'au milieu de<br />

ce beau rêve, la guerre de 1870 vint le surprendre. Ce fut pour lui un véritable coup<br />

de massue. Il s'attrista profondément de ce qu'il considérait comme une régression<br />

vers la barbarie. Il en conclut que la sottise et la méchanceté foncière de l'humanité<br />

sont incurables, et, plus que jamais, il se trouva renfoncé dans son noir pessimisme.<br />

Ajoutez à ces circonstances désastreuses la ruine de son neveu et de sa nièce, petit<br />

fait en apparence insignifiant, mais qui avait la plus grande importance aux yeux de<br />

Flaubert. Vous savez que, pour cette nièce, qu'il aimait comme une fille, il se dépouilla<br />

de sa petite fortune.<br />

Ce fut le coup de grâce pour le pauvre grand écrivain : deux ou trois ans après il<br />

mourait, terrassé, sans doute, par une suprême attaque de son mal. Flaubert était, en<br />

somme, dans toute la force de l'âge : il avait cinquante-neuf ans. C'était au mois de<br />

mai de l'année 1880.<br />

Notons enfin, — et justement à ce propos — , que le pauvre Flaubert ne trouva<br />

dans sa famille que d'assez maigres satisfactions. 11 fut gêné et contrarié plutôt qu'il<br />

ne fut aidé et soutenu par elle. Son père d'abord, son père ne le comprenait pas. Non<br />

seulement ce médecin de la vieille école semblait vouloir l'épuiser littéralement, en<br />

le saignant à blanc, après chacune des attaques de sa maladie, mais il lui imposait une<br />

carrière et des études tout à fait contraires à ses aspirations et à son caractère. Il est<br />

heureux, en somme, que le père de Flaubert soit mort, lorsque Gustave était encore à<br />

l'Ecole de droit. Le désaccord entre le père et le fils n'aurait fait certainement que<br />

s'accroître avec les années, et cette disparition brusque du chef de famille sauva très<br />

probablement l'étudiant de devenir un révolté et, qui sait.*^ peut-être, un déclassé.<br />

Quant à son frère aîné Achille, médecin lui aussi, mais sensiblement plus âgé que<br />

Flaubert, absolument rien de commun entre ces deux consanguins, — rien que la<br />

chair et le sang, — aucune communication ni de cœur, ni d'esprit. Les deux seules<br />

personnes qui réellement surent parler à son cœur, ce fut sa vieille mère et ce fut sa<br />

sœur; sa mère, si bourgeoise pourtant, si éloignée de tout ce qu'il aimait, admirait; et<br />

sa sœur tendrement chérie, qui peut-être eût été capable de comprendre son œuvre<br />

mais qui, malheureusement pour Flaubert, mourut prématurément, après quelques<br />

mois de mariage.<br />

Ainsi on peut dire que les circonstances les plus défavorables semblent s'être conju-<br />

rées pour comprimer et pour entraver le génie de Flaubert.

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