CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library
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<strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />
style. Par scrupule, par conscience de bon ouvrier, lui qui était si admirablement<br />
doué, il s'efforçait d'écrire lentement, péniblement, difficilement. Et pourtant il était<br />
né pour écrire, et l'on peut dire qu'il a écrit toute sa vie. Dès l'âge de huit ou<br />
neuf ans, il écrivait déjà des comédies, il rimaillait des pièces de vers, et ce fut ainsi<br />
jusqu'à son dernier soupir. Il était, comme il le disait de lui-môme en plaisantant,<br />
a l'homme plume ». En tout cas, jamais homme n'aura été plus constamment ni<br />
l)lus complètement un écrivain.<br />
Vous savez pourtant que les débuts de Flaubert furent tardifs. Son premier ouvrage<br />
publié, Madame Bovary, dnte de 1857, l'écrivain avait alors trente-six ans. Aujourd'hui<br />
ce n'est pas à trente-six ans, c'est à dix-sept ans que l'on fait ses débuts !<br />
(Rires.) Mais,<br />
auparavant, il avait mis debout une œuvre énorme, dont il n'était point satisfait et<br />
qu'il eût probablement condamnée à l'oubli sinon au feu. Cette œuvre, que Flaubert<br />
n'avait pas eu le courage de détruire et qui, d'ailleurs, est des plus intéressantes, —<br />
vous me permettrez de le dire ici, — c'est moi qui ai eu l'honneur de la révéler au<br />
public; c'est depuis que j'ai publié la seconde version de la Tentation de saint Antoine<br />
que les critiques ont commencé à se douter de l'importance de l'œuvre inédite de<br />
Flaubert et que des éditeurs se sont décidés à la publier, en tout ou en partie. J'ai<br />
montré que les carions conservés à Antibes par Mme Franklin Groult contenaient, non<br />
pas comme on le croyait, d'informes brouillons, mais des œuvres sinon finies au sens<br />
littéraire du mot, tout au moins terminées et complètes, comme la première et la<br />
seconde Tentation de saint Antoine, comme la première Éducation sentimentale, qui<br />
est si profondément différente de la seconde.<br />
A côté de ces œuvres capitales, il faut citer encore, dans le bagage inédit de<br />
Flaubert, une foule d'essais de jeunesse, dont quelques-uns avaient été publiés, en<br />
totalité ou en partie, de son vivant, comme les Mémoires d'un fou, Smanh, Novembre,<br />
les Funérailles du docteur Mathurin, Rome et les Césars, etc.<br />
A ces essais de jeunesse, ajoutons, pour l'âge mûr, un assez grand nombre de<br />
plans et d'ébauches qui s'appellent la Spirale, Kœnigsmarck, Un ménage sousle Second<br />
Empire.<br />
Ces inédits, si dédaignés ou même insoupçonnés, ont permis de corriger quelques<br />
préjugés de la critique à l'égard de Flaubert. Ils ont fourni une idée plus juste de<br />
l'étendue de ses dons et de la variété de son inspiration. Mais, en somme, ils n'ont<br />
pas modifié profondément l'idée que nous nous faisions de Flaubert d'après les pre-<br />
miers écrits que lui-même avait publiés.<br />
Ces œuvres sont en très petit nombre pour une période relativement longue,<br />
période qui s'étend de 1857 à 1880, date de sa mort. En tout, pour cette longue<br />
période, cinq volumes seulement : Madame Bovary, Salammbô, la Jseconde Education<br />
sentimentale, la troisième Tentation de saint Antoine, et enfin les Trois Contes. Je ne<br />
fais pas entrer en ligne de compte Bouvard et Pécuchet, ou encore Par les champs et<br />
par les grèves, qui ne furent publiés qu'après la mort de Flaubert.<br />
Le premier de ces livres, — et d'ailleurs le seul qui ait eu du succès, — c'est<br />
Madame Bovary. Ce fut même plus qu'un succès, ce fut un véritable scandale. Vous<br />
vous souvenez, en effet, que ce roman valut à Flaubert d'être poursuivi en correc-<br />
tionnelle pour outrages à la religion et à la morale publique.<br />
Voyons donc, ce qui, dans ce livre de [début, pouvait justifier l'émoi des pouvoirs<br />
publics et aussi l'admiration presque unanime de la critique, à commencer par Sainte-<br />
Beuve. Comme Madame Bovary est le livre réellement typique de Flaubert, comme<br />
déjà il s'est mis là tout entier, les conclusions auxquelles nous arriverons tout à<br />
l'heure serviront, si je puis dire, pour son œuvre tout entière.<br />
Ce qui séduisit et, en même temps, scandalisa dans Madame Bovary, c'est qu'elle