CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

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littérature, etc., et ce Boissard pratiquait le haschisch. Avec Théophile Gautier, il
y initia Baudelaire. Il est certain que c'est là que Baudelaire prit l'habitude des stupéfiants,
et il est certain aussi qu'il continua, car en i865 il avoue, dans une lettre, que
pendant très longtemps il avait fait usage de l'opium.
Dans son livre sur les Paradis artificiels, il nous a montré tous les ravages que
pouvait exercer sur l'intelligence l'abus des stupéfiants, mais lui-même pourtant ne
pouvait s'en passer. Pour ma part je n'en serais pas étonné, car il me paraît évident
que certaines poésies, certains de ses songes poétiques, comme Rêve parisien, par
exemple, sont d'une nature tellement supra-terrestre qu'ils ne peuvent pas avoir été
conçus par un individu à l'état normal, et que ces récils, ces récits dus à l'opium, il
les a moins imaginés que transcrits, reconstitués. Certes, il a indiqué les affreux
dangers de l'opium, et nous avons vu d'ailleurs des tas de gens prendre de l'opium,,
chez lesquels l'opium ne créait pas le génie mais l'abrutissement. Tombant sur une
nature poétique comme celle-là, il est certain que l'opium a eu des effets surprenants
et souvent magnifiques.
Déjà, Baudelaire commençait à publier (nous sommes aux environs de 18/12), et il
faisait la connaissance d'une femme qui allait exercer sur sa vie une influence désastreuse,
cette Jeanne Duval, la mulâtresse dont nous parlerons plus tard. En même-
temps, il connaissait Hugo, Gautier, et se mettait à réciter des vers dans les cénacles-
avec le plus grand succès. Il avait fait en i843, ses amis l'ont reconstitué, un bon tiers-
des Fleurs du Mal, mettons que ce soit en i845. Baudelaire avait alors vingt-quatre ans.
A ce moment, il a fait un tiers des Fleurs du Mal, où figurent certaines des plus belles
pièces du recueil, et en i85o, Asselineau raconte qu'il a vu deux volumes cartonnés,
reliés, dorés, qui contenaient toutes les Fleurs du Mal, sauf une vingtaine. Donc en
i85o, c'est-à-dire à l'âge de vingt-neuf ans, Baudelaire a accompli la presque totalité
de son œuvre poétique. Il a profité de l'élan magnifique de la jeunesse, il a profité des-
stupéfiants, il a profité de la souffrance, il a profité de tout. C'est pour vous dire à
quel degré de maturité, dès la trentaine, il avait atteint.
Je reviens en arrière, en i8/i4, vous verrez pourquoi. Toutes ses orgies, se*
fantaisies, toutes ses dépenses sont arrêtées tout à coup, parce qu'on lui donne urt
conseil judiciaire en la personne de M. Ancelle, un notaire fort estimable de Neuilly,
mais d'un caractère, je crois, d'après ce qu'il résulte des lettres de Baudelaire, un peu
étroit, tout à fait honnête homme, mais le contraire de ce qu'il eût fallu avec une
nature aussi prime-sautière, aussi originale, aussi personnelle que celle de Baudelaire.
Fatalement, Baudelaire devait le prendre en véritable haine. 11 l'appelle dans une lettre
« l'élernelle plaie de son existence ». Il fut, jusqu'à sa mort, en lutte avec lui.
Pourtant il s'était remis au travail. En i8/j5 et iSliQ, il débute publiquement par
deux comptes rendus des salons de i845 et i846 qui font sensation dans le monde des
artistes. Je ne m'attarderai pas sur ces salons, parce que le temps me manque, mais je
tiens à vous dire que tout ce que Baudelaire a écrit sur les arts de cette époque, comme
les articles faits en i855, 1869 et par la suite, est, de l'avis de peintres actuels qui ne
passent pas pour des peintres d'arrière-garde, qui sont vraiment des peintres très impor-
tants à l'heure présente, non seulement de la critique supérieure, mais ce qu'ils con-
naissent de plus profond en matière de critique d'art. Même à défaut de ces avis, on-
pourrait signaler que Baudelaire a deviné l'importance capitale de Delacroix. C'est lui
qui a mis Delacroix à son véritable rang. Il a dénoncé tous les mauvais talents de son-
époque, il a deviné Manet, Courbet, il a deviné Constantin Guys, il a deviné Daumier,
c'est à-dire que tous ces gens-là il les a mis à leur rang et à un rang que ne leur confé-
raient guère leurs autres contemporains.
Enfin, en matière de musique, au moment où Wagner était inaccessible à la