CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library
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BALZAC 1^5<br />
nemenl Ualien, lui demande la concession et le gouvernement italien lui répond :<br />
(( Mais il y a trois semaines que cette concession a été accordée à un nommé Genoé. »<br />
Rires.)<br />
Balzac se rejeta plus simplement sur la culture de l'opium en Corse. Cela non plus<br />
ne réussit pas.<br />
Tout cela, on le comprend fort bien, c'étaient des affaires qu'il rêvait, c'était des<br />
affaires dans lesquelles, parfois, il y avait ijuelque chose, mais qu'un homme comme<br />
lui, qui n'était qu'un romancier, n'avait pas le courage, n'avait pas la patience d'em-<br />
brasser, de suivre dans les détails pour les mener jusqu'au bout. En d'autres termes,<br />
les affaires qu'il a essayé d'entreprendre pour lui n'ont jamais servi qu'à lui faire<br />
concevoir les types des grands conquérants, des grands financiers qu'il a placé dans<br />
ses romans; elle ne lui a jamais servi que littérairement, parce que, en réalité, c'était<br />
un mythomane, c'était un menteur de génie comme tout grand créateur littéraire. Il<br />
se racontait des histoires : il les croyait, sur le moment.<br />
Un jour, devant la Bourse, il rencontre Henri Monnier et lui explique une admi-<br />
rable opération pour laquelle il va entrer à la Bourse et qui lui rapportera i4 mil-<br />
lions. Alors Henri Monnier tend la main et lui dit : « Frêtez-moi cent sous sur<br />
l'affaire ! » Monnier ne les a jamais vus. (Rires.)<br />
Ses prétentions à la noblesse, son mariage avec Mme Hanska ont été de même<br />
nature. Elles appartenaient à la catégorie du rêve éveillé. Balzac n'était ni noble ni<br />
même de Balzac. Louis Lumet vient précisément de publier, dans la Revue de Paris,<br />
un article extrêmement intéressant oii il démontre de la façon la plus évidente que<br />
le grand père de Balzac était un paysan qui avait commencé d'être un peu à son<br />
aise, comme beaucoup de paysans, au dix-huitième siècle, qu'il habitait le dépar-<br />
tement du Tarn, et qu'alors le père de Balzac qui, par hasard, avait appris à lire,<br />
à écrire, et même un peu de latin, était devenu clerc de notaire, puis était passé<br />
d'AIbi, si je ne me trompe, à Paris. Balzac lui-même, dans une préface assez embar-<br />
rassée du Lys dans la Vallée, que plus tard, du reste, il s'est empressé de supprimer,<br />
avait reconnu qu'évidemment, il n'avait aucun droit à se réclamer de l'illustre<br />
famille éteinte de Balzac d'Entraigues. Mais cet aveu public, cette confession faite<br />
par lui-même, ne l'ont pas empêché, toute sa vie, de mettre sur sa voiture, de faire<br />
graver sur sa vaisselle et même sur la fameuse canne dont Mme de Girardin a parlé<br />
et dont elle a fait un roman, les armes de la famille de Balzac d'Entraigues.<br />
Autre rêve éveillé encore, son mariage avec la comtesse Hanska. Et, de toutes<br />
les affaires qu'il a faites, c'est la seule que le malheureux ait poussée jusqu'à la<br />
réalisation (Rires).<br />
Son amour et son futur mariage — car il y eut des Cançailles qui durèrent<br />
dix ans, flattaient à la fois ses sens, sa vanité et son désir de fortune. Il ne vit la<br />
comtesse Hanska, durant des années, qu'une fois ou deux, d'une façon extrêmement<br />
brève, furtivement, à des rendez-vous soit à Vienne, soit dans une maison cachée<br />
dans les bois. En somme, tout ce temps, il se contenta de correspondre avec elle.<br />
Il n'y a rien de plus enflammant et de plus décevant, non seulement pour un homme<br />
de l'imagination de Balzac, mais pour n'importe qui, qu'un amour par corres-<br />
pondance! (Rires) On ne voit que ce qu'on veut voir, on se crée à sa fantaisie l'objet<br />
de sa passion, on lui donne toutes les qualités, on le dote de toutes les beautés et sa<br />
présence n'intervient jamais pour contrôler l'illusion. C'était donc un roman, un<br />
roman encore qu'avait construit Balzac avec Mme Hanska. Il eut le tort de l'éditer,<br />
c'est-à-dire d'épouser (rires), et c'est alors qu'il vit la véritable Mme Hanska. Elle<br />
n'était nullement la Mme Hanska qu'il avait créée. Sa fortune, sa fortune même,<br />
n'était pas ce qu'il avait cru, son caractère n'était pas celui du Lys dans la Vallée;