CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

STENDHAL
Musique brûlante, insensée,
Toute notre âme est renversée,
Et, désespéré de désir.
Le cœur veut jouir et mourir.
Des bruits troublent l'ombre émouvante.
On entend parler des servantes.
Sous les platanes de l'hôtel
Je pense à vous, Julien Sorel...
Vous aimiez comme je les aime
Le trésor qu'on porte en soi-même.
Le destin qui n'a pas d'égal
Et le beau plaisir cérébral.
Derrière toutes ces fenêtres.
Des êtres vont s'aimer, vont naître;
mouvement universel !
Nous serons morts, Julien Sorel.
Tout votre amer orgueil éclate
Dans mon cœur d'ombre et d'écarlale.
Je vous ai bien aimé ce soir
O Julien du Rou":e et du Noir...
Nous savons bien que Beyle devait plus tard, en réaction de son éducation
mesquine, faire retomber sur sa ville natale toute une part de sa rancune contre son
père et ses premiers maîtres. Il fut bien Dauphinois malgré fout, si, comme lui-même
devait l'écrire : « le Dauphinois réfléchit et s'entretient avec son cœur ».
Mais, à dix ans, il a déjà jugé son entourage. Et, pour toute sa vie, il va prendre le
contre-pied de ce qu'on lui prétend inculquer. Son père et son précepteur sont tous
deux des hommes pieux, royalistes fervents, qui le veulent élever dans le respect des
convenances mondaines. Aussi Henri Beyle sera désormais quelque peu jacobin,
athée, et ne détestera rien tant que la convention et le manque de naturel.
En ce temps, nous pouvons nous le représenter comme un petit être réfléchi,
obstiné et secret, qui n'étant jamais en contact, ni pour son travail ni pour ses jeux,
avec des camarades de son âge, se replie sur lui-même et trempe dans la solitude une
âme ardente et avide de tendresse.
11 lit en cachelte tout ce qui lui tombe sous la main, et découvre ainsi la Nouvelle
Héloïse, Manon Lescaut et les cruelles Liaisons dangereuses. 11 est si jeune cependant
que ces lignes ne lui versent qu'un romanesque imprécis, jusqu'au jour où le Roland
furieux permet enlin à ses rêves de prendre corps. U va maintenant pouvoir imaginer,
guidé par Bradamante, les plus folles amours et recouvrir les thèmes de l'Arioste des
mômes fanla'sies qu'un soir en Italie fera germer dans sa tôle et dans son cœur la
musique de Cimarosa.
Il approche de sa (fuatorzième année quand la création, dans chaque département,
des Ecoles centrales, fera cesser son isolement. Le Docteur Gagnon avait été désigné
comme chef du jury chargé d'organiser celle de Grenoble. Henri Beyle eu fut élève
dès qu'elle ouvrit ses portes, le 21 novembre 1796. Toute sa vie en reçoit une orienta-
tion nouvelle. Il trouve là des compagnons qui le comprennent et d'autres qui lui