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CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

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248 <strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />

« On ne me lit pas, c'est bien d&rlain, du moins avec quelque intelligence, et j'ai<br />

comme l'idée que vingt ans ou cinquante ans après ma mort, on me découvrira.<br />

L'étude à faire n'est pas faite, et ne sera sans doute pas faite de mon vivant. »<br />

A ce sujet, Messieurs, il me revient une anecdote. Ce devait être en 1890. Zola était<br />

candidat à l'Académie française. Il avait bien dit autrefois qu'il n'en serait jamais,<br />

mais, avec l'âge, l'ambition vient et les plus fiers oublient l'orgueilleuse parole de<br />

Flaubert : « Quand on est quelqu'un, il est misérable de vouloir être quelque chose. »<br />

Ce n'était pas d'ailleurs, je crois, la véritable pensée défeola.<br />

J'avais alors vingt et quelques années. L'idée me vint d'aller interviewer les acadé-<br />

miciens pour supputer les chances d'Emile Zola. Un jour, je m'amène chez Ernest<br />

Renan. C'était l'époque où l'on interviewait Renan sur tout : la pluie, le beau temps,<br />

le crime du jour, la mort d'un homme illustre et même sur l'emploi de la lance dans la<br />

cavalerie. Renan répondait à toutes les questions avec une inlassable aménité. 11 me reçut<br />

donc ce jour-là, avec sa bienveillance habituelle, et je lui posai la question : a Maître,<br />

pensez-vous que Zola ait des chances d'être élup » Il me répondit : —<br />

îNon, je ne le<br />

crois pas. — « Et plus tard? » — a Plus tard, peut-être, me répondit Renan. Il faut<br />

bien que l'Académie fasse de temps en temps une bêtise. » Je dis à Renan : — « Avez-<br />

vous lu Zola.î* » — « Oh ! non, je m'en garderais bien I L'art est fait pour élever le cœur,<br />

l'esprit, l'imagination, etc. » J'étais un peu étonné, un peu navré. J'avais pour le père<br />

des Rougon la plus grande admiration, le plus vif enthousiasme. Le lendemain, j'allai<br />

voir l'illustre romancier et je lui racontai ma visite à Renan. Zola fut un peu outré, il<br />

dit : « Puisqu'il n'a rien lu de moi, vous allez lui offrir ceci. » Il va à sa bibliothèque<br />

et tire un exemplaire de Germinal. — Non, pas cela, plutôt la Faute de l'Abbé Moiirei î> —<br />

« Oui, vous avez peut-être raison ! » Il prit la Faute de l'Abbé Mouret, la dédicaça et me<br />

confia le livre pour le remettre à Renan. Lorsque je me présentai à celui-ci, je lui dis :<br />

« Zola désire être connu de certaines personnes, vous êtes de celles-là, et il m'a prié de<br />

vous offrir un exemplaire de la Faute de l'abbé Mouret ». — « Eh bien ! laissez-moi ça,<br />

dit Renan, je le lirai à ma première attaque de rhumatisme. Revenez dans un mois, je<br />

vous dirai ce que j'en pense. »<br />

Un mois après, curieux de savoir ce que Renan pensait de Zola, je retournai chez<br />

lui. « Eh bien! oui, j'ai lu ça, me dit-il, comment vous l'appelez.^ Oui, la Faute de<br />

l'abbé Mouret. Evidemment, c'est bien, mais c'est un peu long, enfin ce n'est pas<br />

écrit... ! »<br />

Tout ceci pour vous dire combien les contemporains méconnurent Zola. Je suis<br />

convaincu cependant que si Renan eût lu Zola, il l'eût admiré. Tous deux avaient les<br />

mêmes tendances, ils avaient la même foi dans le progrès, dans l'avenir de la science,<br />

peut-être tiussi se seraient-ils rencontrés dans une affaire célèbre dont je ne vous parle<br />

pas, ce soir, parce qu'elle est hors de mon sujet.<br />

Ce n'est pas là un destin unique. Lucien Descaves rappelait dernièrement cette<br />

parole de Balzac : « Un écrivain meurt toujours inconnu. » Oui, même lorsque ses<br />

livres ont atteint un tirage formidable et que leur succès fut souvent dû à des causes<br />

étrangères à leur valeur intrinsèque. En voulez-vous un exemple frappant entre tous?<br />

Longtemps « Don Quichotte », l'immortel chef-d'œuvre de Cervantes, fut un grand<br />

succès de gaîté; ce n'est que bien plus tard que l'on en découvrit la profonde amer-<br />

tume, qu'on vit que c'était là le roman de l'éternel avorlement humain, la dérisoire<br />

disj)roj)ortion du rêve avec les chimères idéales; en somme, notre histoire à tous,<br />

poussée à l'exagération et à l'intense.<br />

Je m'appliquerai donc à vous dire ce qui, à mon sens, crée la valeur essentielle de<br />

l'œuvre de Zola, les vertus par lesquelles cette œuvre mérite de survivre. Du reste, le<br />

père des (( Rougon Macquart » n'est pas tout le naturalisme, il eut des précurseurs. La

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