30.06.2013 Views

CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />

entre eux il y avait un tel abîme spirituel I Ces deux êtres ne pouvaient se rejoindre<br />

que par le cœur, et souvent la dislance qu'avait mise entre eux leur différence céré-<br />

brale, leur cœur avait bien de la peine à la franchir.<br />

Ce n'est qu'après la mort de son fils et lorsqu'on débuta l'apothéose, que Mme Bau-<br />

delaire comprit tout ce qu'il était et commença. à s'en sentir fière.<br />

Enfin, en 1861, il y a un éclair, un espoir : une deuxième édition des Fleurs du<br />

Mal, augmentée d'une trentaine de pièces nouvelles, à laquelle Baudelaire a donné le<br />

plus grand soin, où il y a son portrait par Bracquemond, et une trentaine de pièces<br />

nouvelles. Il essaye de pousser le livre en se présentant à l'Académie française. Sainte-<br />

Beuve lui promet son appui, puis se défile. 11 est obligé de retirer sa candidature. Il va<br />

voir chez le libraire ce que devenait le livre. Hélas ! comme pour les Paradis artificiels,<br />

quelque temps après l'édition était en soldç I<br />

Alors persécuté parles créanciers, persécuté par Jeanne Duval qui ne cessait de lui<br />

demander de l'argent, il écrit à sa mère :<br />

une saisie et une scène. » Que faire .> Que devenir.!^<br />

« J'écris entre une scène et une saisie, entre<br />

Il se rappelle soudain que d'autres grands poètes ou romanciers, Thackeray, Dic-<br />

kens, Longfellow, avaient fait des conférences fructueuses.<br />

Malassis, comme je vous l'ai dit, s'était réfugié en Belgique, soit parce qu'il était<br />

sous le coup de poursuites pour avoir, selon sa coutume, publié des ouvrages un peu<br />

badins, pour ne pas dire plus, soit parce qu'il était gêné dans ses affaires. Baudelaire a<br />

l'idée d'aller le rejoindre et de faire là-bas des conférences. Il obtient un engagement.<br />

Il fait une conférence. Je tremble en évoquant ce souvenir, car ce n'est pas un sou-<br />

venir d'heureux augure pour un conférencier : Baudelaire lut les Paradis artificiels, il<br />

les lut d'un bout à l'autre pendant deux heures. Au début, il y avait soixante per-<br />

sonnes dans la salle, et à la fin il n'y en avait plus que cinq I Ce fut un échec noir.<br />

Mais tout de même Baudelaire était tellement dégoûté de Paris qu'il resta en Belgique,<br />

non seulement par crainte de ses créanciers, mais parce que surtout, comme il disait, il<br />

avait horreur de la face humaine, horreur de ce Paris, oSi elle lui avait été si hostile,<br />

horreur de toutes les avanies et dénis de justice qu'il y avait subis.<br />

En 1866, au bout de deux ans de séjour, Malassis pourtant lui réserva une petite<br />

surprise. Il y avait un certain nombre de ses poésies qui avaient paru de-ci de-là dans<br />

des périodiques, des revues petites ou grandes; Malassis les réunit en un volume inti-<br />

tulé « les Epaves », tiré à deux cent cinquante exemplaires. C'était précédé d'une pré-<br />

face très courtoise pour le public, où on lisait : a Ces poésies sont dédiées aux deux<br />

cent cinquante lecteurs composant le public littéraire en France; depuis qu'il y a des<br />

bêles qui ont décidément usurpé la parole sur les hommes. »<br />

Le livre se vendit peu. D'autre part, Baudelaire, épouvanté à l'idée d'un autre<br />

procès, n'insista guère pour le pousser et y dissimula même sa part de colliiboration<br />

matérielle. Il n'avait plus d'autre consolation que d'écrire son journal intime. Ce<br />

journal intime était le déversoir à ses haines, à ses rancunes, à ses souffrances. Il en<br />

parlait souvent à sa mire dans ses lettres. Il lui écrivait : « J'ai voulu faire un livre<br />

vengeur. Je dirai tout, et quand ce livre paraîtra, les Confessions de Jean-Jacques<br />

Rousseau, après cela, paraîtront an pâle bouquin. Je veux mettre l'humanité entière<br />

contre moi. » Il n'a pas fait tout cela d'ailleurs, parce qu'il n'a pu colliger à temps les<br />

vagues papiers épars où il griffonnait. Ce livre se présente comme les Pensées de Pascal<br />

auxquelles, par endroits, on a pu le comparer. 11 en est résulté l'œuvre la plus pro-<br />

fonde, la plus humaine, la plus poignante, la plus dénuée de littérature et que des<br />

gens très importants, des gens de goût, des gens aussi sévères que M. Bourget sur les<br />

questions de psychologie, considèrent comme l'équivalent du journal de Stendhal ou<br />

des Confessions de saint Augustin.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!