CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library
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LliS GOiNCOURT 109<br />
depuis Hugn jusqu'à Eugène Sue, et surtout Balzac pour qui toute figure humaine, à<br />
quelque classe qu'elle appartînt, était intéressante. Le Père Goriot ou Rastignac, la<br />
Duchesse de Maufrigneuse ou Loustalot le Bohème, ou Lucingen le banquier, l'Humble<br />
cousin Pons, la Misérable Lisbelh, le Pauvre Schmouke, le Pathétique César Biroileau ou<br />
la Marquise cU Espars, ou l'Implacable de Marsay, et tant d'autres, il n'en trouvait aucun<br />
de négligeable. C'est par le détail que les Concourt diffèrent, c'est par la présentation<br />
plus naturelle, moins épique, c'est enfin par un style très particulier dont nous<br />
parlerons plus tard et qui est caractérisé par une recherche passionnée de ce<br />
qu'Edmond de Concourt appelait « l'épithète rare ».<br />
Dans l'ensemble, leur œuvre de romanciers marquait une époque. Elle nous<br />
mettait plus distinctement en face de la réalité que ne le firent Stendhal, Balzac et<br />
même Flaubert; elle usait de nuances plus vives, de détails plus subtils. Nous verrons<br />
par la suite quelle valeur il faut, selon nous, lui concéder.<br />
Il est une troisième série, dans l'œuvre littéraire des Concourt, qui est une<br />
émanation directe de leurs êtres et qui, du reste, a le caractère général de leur histoire<br />
et de leurs romans : c'est le fameux Journal qui souleva récemment de si violente?<br />
polémiques et valut à l'Académie Concourt des charretées d'accusations parfois injU'<br />
rieuses. C'est du Journal que je veux parler.<br />
Le Journal, ce sont les Mémoires des Concourt, et ces Mémoires expliquent toutes<br />
leurs tendances, exposent toutes leurs revendications et reflètent toutes leurs amer-<br />
tumes. Ce ne sont pas des souvenirs, comme le sont presjue toutes les œuvres simi-<br />
laii-es, c'est vraiment un journal, une suite de notes quotidiennes qui font penser au<br />
livre de raison de tel de nos ancêtres, mais avec beaucoup plus de pittoresque et de<br />
mouvement.<br />
Le Journal des Concourt a été accueilli avec une curiosité assez vive par le public ;<br />
il a souvent été maltraité par la Presse. Ce n'est pas, à proprement parler, une œuvre :<br />
d'une part, une notation plus ou moins exacte d'événements auxquels les Concourt<br />
assistèrent; d'autre part, une relation de propos, relation recueillie à droite et à<br />
gauche; finalement le reflet de di^ux sensibilités, puis d'une seule.<br />
Si l'on veut bien considérer cette œuvre en faisant abstraction de toute esthétique,<br />
elle est souverainement intéressante, autant, pour le moins, que les Mémoires de<br />
Jean-Jacques Rousseau, et, je le crois, [)lus sincère encore, peut-être même plus<br />
sincère que tout ce qui a été fait dans ce genre, car leur tempérament très sensitif,<br />
peu abstrait, peu capable de retour sur eux-mêmes, leur ôtait cette prudeuce, cette<br />
ruse, cette hypocrisie qu'on trouve dans presque tous les livres de l'espèce et particu-<br />
lièrement dans les magnifiques Mémoires d'Outre-Tombe, de Chateaubriand, qui<br />
sont des fourmilières de mensonges. Les Concourt étaient sincères par impulsion; ils<br />
cédaient à leur humeur immédiate; ils se fâchaient, ils se plaignaient comme des<br />
enfants, et pour le demeurant ils reproduisaient les choses extérieures avec une sorte<br />
de conscience photographique et phonographique. C'est là l'intérêt du Journal qui<br />
renferme, du reste, de très beaux passages en même temps que des notes d'une<br />
puérilité, d'une naïveté, d'une candeur étonnantes, et par là même plus révélatrices<br />
du tempérament des deux écrivains.<br />
N'oublions pas leurs livres éloquents et précis sur l'Art du dix-huitième siècle et<br />
sur les Artistes japonais. N'oublions pas qu'ils furent des collectionneurs de grand<br />
flair, dont l'influence fut grande sur la vogue des japonneries et des petits maîtres du<br />
dix-huitième siècle.<br />
J^es Concourt ont débuté le jour où Louis-Napoléon Bonaparte faisait ou laissait<br />
faire son coup d'Etat, Ils publiaient un petit livre, sans grande importance, mais<br />
dont ils pensaient beaucoup de bien, et ils se montrèrent très mécontents de ce qu'on