CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

256 CAUSERIES FRANÇAISES
reconnaître avec impartialité le talent de chacun, sans être un bénisseur. Protégeons
avant tout le patrimoine intellectuel et moral de la France, il n'est pas de plus noble
mission.
Reconnaissons d'ailleurs que Zola, dans son œuvre de critique, ne se borna pas à
démolir des idoles, à déboulonner des statues, il eut aussi des admirations passionnées
et véhémentes.
On fait son chemin de différentes manières, assis, c'est-à-dire en rendant des
visites; à plat ventre, c'est-à-dire en s'insinuant par l'intrigue et par la flatterie; ou
bien debout, par la seule force du travail, des œuvres accumulées. C'est ce dernier
moyen qu'avait choisi Zola pour faire sa trouée. C'était aussi celui qui s'adaptait le
mieux à son tempérament. Puissant, hardi, aimant la lutte, mais rude et d'un carac-
tère trop personnel pour se plier à celte uniformité des convenances mondaines qui
n'est jamais l'image des dispositions du cœur, il dédaigna de fréquenter les salons à la
mode, de conquérir des preneurs.
Clovis Hugues qu-i l'avait connu à cette époque, me racontait : « Je le vois entrant
au journal oii nous collaborions tous deux. Il ne disait jamais un mot, déposait sa
copie et se retirait. On ne connaissait pas encore son talent et quelqu'un me dit un
jour :
« Il m'inquiète, ce garçon-là! il a l'air de porter un monde sur ses épaules. »
Oui, il a des haines vivaces, mais à chacune de ces haines correspond un amour
passionné. Il défend les méconnus, il se bat pour E. Manet, alors incompris et ridicu-
lisé. Chacun de ses articles soulève un scandale dans le Landerneau littéraire. Les
abonnés des journaux protestent et s'indignent; on lui coupe ses feuilletons, on
interrompt ses campagnes, on finit par le remercier. 11 s'en va en criant : « J'ai raison !
l'avenir vous prouvera que j'avais raison ! »
Oui, il a devant lui l'avenir, quarante ans de travail qui lui donneront la victoire,
et il fait graver sur les murs de son cabinet de travail cette devise, à laquelle il restera
inébranlablement fidèle : Nulla dies *me linea.
Messieurs, je ne puis prétendre analyser l'œuvre de Zola. Mon intention serait
surtout d'en faire apparaître la portée morale. Nul mieux que ce grand écrivain ne
nous a enseigné les bienfaits de l'action, du labeur quotidien soutenu avec méthode
et discipline. « La tâche que je me suis imposée, me disait-il un jour, ces trois ou
quatre pages que j'écris chaque matin, sont pour moi comme un appui qui me
soutient contre tous les chagrins de la vie, toutes les catastrophes morales. Il est des
jours où je me mets au travail avec un invincible dégoût, il faut que je me violente.
Si je ne faisais pas cela, si, la matinée passée, je n'avais pas écrit mes trois ou quatre
pages, j'éprouverais une défaillance extrême, et la moindre contrariété survenant,,
aurait sur moi l'effet d'un désastre. Et si je demeurais huit jours sans rien faire, je
tomberais malade... Lorsqu'un homme a terminé sa tâche, lorsqu'il n'est plus soutenu
par son œuvre, il succombe, la nature le frappe comme inutile. »
Zola fut ainsi amené à élaborer, dans le Docteur Pascal, tout un système de mé'di-
cation par le travail, une théorie nouvelle de l'équilibre des forces, consistant à établir
que tout ce que l'homme reçoit en sensations, il doit le rendre en mouvement, et il
imagine la vie normale, pleine et heureuse, dans un fonctionnement de machine bien
réglée, s'entretenant elle-même en vigueur et en beauté par le jeu simultané et
logique de tous ses organes.
La morale de Zola se dégage de son œuvre entière, mais c'est dans ses derniers
livres surtout qu'il la développa et la précisa. Il conçut, comme je vous le disais, ver^
la fin de sa vie, la vaste ambition de fonder une religion nouvelle, avec ses quatre évan-
giles : Fécondité, Travail, Vérité, Justice. Il mourut avant d'avoir écrit son quatrième