CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library
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32 <strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />
unanime abdication de toute personnalité, Corinne et René sont des individualistes.<br />
A l'écart de cette discipline formaliste et pédantesque, qui fige, englue et paralyse<br />
toute la littérature, ils travaillent à affranchir, lui le verbe, elle le sentiment. Mais en<br />
dépit du bruit fait par leurs œuvres, ils font figure d'isolés. Ils n'écrivent qu'en prose.<br />
En eux il y a de l'élan, mais non des ailes. Et pendant ce temps, la poésie, malgré<br />
une ou deux élégies touchantes de Millevoye, tombe au dessèchement et à la mort.<br />
Soudain les MéditaUons de Lamartine la réveillent. La voilà debout, vivante, fré-<br />
missante, palpitante. Le monde littéraire, les salons mondains, tout en est saisi,<br />
comme électrisé.<br />
Beaucoup plus tard, le 19 novembre i865, Sainte-Beuve écrivait au tout jeune<br />
Verlaine : « Non, ceux qui n'en ont pas été témoins, ne sauraient s'imaginer l'impres-<br />
sion vraie, légitime, ineffaçable, que les contemporains ont reçue des premières<br />
Méditations ! »<br />
Cependant, sur les vingt quatre poèmes qui les composaient, dix à peine étaient<br />
vraiment révélateurs; encore la forme n'étaitelle pas extrêmement neuve! Mais ces<br />
poèmes apportaient au monde des accents jusqu'alors inconnus. Après la poésie<br />
raisonneuse des classiques (Malherbe, Corneille, Boileau, môme notre divin La<br />
Fontaine), après cette poésie analytique et discursive 011 le moraliste est toujours dans<br />
le poète et n'oublie jamais de le diriger et de le contrôler, c'était le cœur, qui, soudain,<br />
envahissait tout, qui échappait à la discipline des règles étroites, à l'étiquette des<br />
salons royaux et fermés, et qui délaissait les spectres charmants, mais éteints, du<br />
château et du parc de Versailles pour aller se plonger dans la nature, et, par delà la<br />
nature, dans l'infini de l'amour.<br />
Car c'est l'amour qui a donné aux Méditations la vie, le feu sacré, et qui les a, du<br />
premier coup, portées à la gloire.<br />
Ce fut un miracle, auquel Lamartine ne paraissait pas d'abord destiné. N'oublions<br />
pas qu'il avait trente ans quand il publia ce livre, qui était son premier. Pendant<br />
longtemps, il s'était cherché, et il avait été très long à se trouver.<br />
Alphonse de Lamartine était né le 20 octobre 1790, en pleine Révolution française,<br />
à Mâcon, et il était fils du chevalier Pierre de Lamartine de Pratz et d'Alix des Roys.<br />
Plus tard, il se targuait, nous assurent Gabriel Clouzet et Charles Fegdal, de descendre<br />
des Sarrazins, ce qui, pour un barde très chrétien, est une source assez impure ! Mais<br />
je ne crois pas qu'aucun document probant appuie cette prétention romantique.<br />
Le futur poète ne fut pas un enfant prodige. Pourtant, il n'était encore qu'ado-<br />
lescent quand il rima ses premiers vers. Sa famille en trembla un peu, hantée par<br />
l'aventure d'un propre frère de Mme de Lamartine, Lyon des Roys, qui, travaillé par<br />
le démon de la métromanie, avait fait des poèmes déplorables, et, poursuivi par ce<br />
guignon que, plus tard, célébra si bien Mallarmé, avait fini par se suicider en i8o/i.<br />
Les essais poétiques de Lamartine ne furent donc guère encouragés par sa famille,<br />
loin de là ! Il venait de terminer avec succès ses études au collège de Relley, quand,<br />
pour couper court à une amourette locale, ses parents l'envoyèrent en Italie. Ce<br />
voyage, qu'il avait vivement désiré, eut sans doute une grande influence sur la forma-<br />
tion de son génie. Ce beau pays, dont les basiliques largement éclairées lui plurent<br />
mieux que nos sombres cathédrales gothiques, ce beau pays dut lui inspirer puissamment<br />
la confiance dans la vie, l'amour de la création et l'enthousiasme jiour le<br />
Créateur, le culte de la nature extérieure, chaude, épanouie, dans laquelle il voulut<br />
voir toujours une amie, une divine confidente. L'Italie dut contribuer à le pénétrer<br />
de cette sorte de langueur qui fait de la mélancolie une volu|)té et qui dégage un<br />
parfum |)resque oriental.<br />
A ce propos, je remarquai que, dans son Cours familier de Littérature, Lamartine a