CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

33o CAUSERU:S FRANÇAlSIiS
Parmi les écoles poétiques qui ont succédé au Symbolisme, j'ai, pour la com-
modité de l'exposé, donné le nuîhéro k à l'Unanimisme. Nous donnerons le numéro
5 à l'école Fantaisiste, dont le maître fut Paul-Jean Toulet, l'auteur des
Contre-rimes, et dont les principaux adeptes furent Jean Pèlerin, Jean-Marc Ber-
nard, Francis Carco et Tristan Derème.
Les Fantaisistes sont, en somme, des classiques qui ne se prennent pas au
sérieux, ce sont des classiques qui s'amusent, qui ont le sourire, qui blaguent,
mais ils blagxient avec infiniment d'esprit et de science rythmique. Ils ont assou-
pli le vers classique à peu près comme l'avait fait autrefois La Fontaine, c'est-à-
dire en y introduisant non pas la liberté, mais la diversité des cadences.
Les Fantaisistes ont été souvent des Intimistes, je devrais presque dire tou-
jours, et par ce côté ils rappellent parfois François Coppée. Comme lui ils ont
chanté les petites joies et les petits chagrins de la vie quotidienne, le plaisir de
fumer une bonne pipe, de boire une bonne bouteille, les rendez-vous avec une
maîtresse infidèle, etc.. Mais où ils diffèrent de Coppée, c'est dans le souci con-
stant qu'ils ont d'éviler la platitude et de relever la banalité de leur thème par
toutes sortes d'agréments pi'osodiqtucs et syntaxiques dont sont farcies, par exem-
ple, les Contre-Rimes de Toulet.
Je vais vous lire quelques vers de Jean Pèlerin, mort il y a peu de temps, et
à qui ses amis, dont j'étais, ont gardé le plus tendre souvenir.
LA NUIT D AVRIL
Je ne me suis ptis fait la tète de Musset,
Je tartine des vers, je prépare un essai,
J'ai le quart d'un roman à sécher dans l'armoire.
. . .Mais que sont vos baisers, ô filles de mémoire ?
Vous entendre dicter des mots après des mots.
Triste jeu !
. . .Le loisir d'été sous les ormeaux,
Une écharpe du soir qui se lève et qui glisse. .
IJes couplets sur ce bon Monsieur de La Palice
Que répète un enfant dans le jardin couvert.
Ce crépuscule rouge, et puis jaune, et puis vert. . .
. . .Une femme passant le pont de la Concorde
. . .Le iVdle d'un arcttel pâmé sur une corde,
La danse, la chanson avec la danse, un son
De flûte, sur la danse entraînant la chanson.
Ce geste d'une femme et celui d'une branche. . .
Ah ! vains mots ! pauvres mots en habits du dimanche. . .
Ah ! vivre tout cela, le vivre el l'épuiser. . .
Muse, reprends mon luth et garde ton baiser !
Après les Fantaisistes vinrent les Cubistes. Je ne sais vraiment pas pourquoi on
les a dénommés ainsi; peut-être était-ce parce que leur chef de file, Guillaume
Apollinaire, a été le champion du cubisme pictural. Pour ma part, je n'y vois pas
d'autre raison. Cependant l'auteur de l'Histoire de la Littérature française con-
temporaine, M. René Lalou, a cru entrevoir chez Apollinaire,' chez Max Jacob et
André Salmon, un certain cubisme poétique « soucieux de rendre sensil)les toutes
les faces d'un objet à la fois », et en a conclu que « rien ne s'oppose, en théorie,
.