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CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

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<strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />

Dans l'intervalle, cependant, il a eu une heureuse rencontre. 11 a rencontré sur sa<br />

roule une âme sœur, c'est Edgar Poe, un écrivain tellenient semblable à lui que,<br />

dans une de ses lettres, il écrit que des sujets, des idées et jusqu'aux mots, jusqu'à la<br />

façon de les exprimer qui lui étaient venus, il les a retrouvés presque textuellement et<br />

presque journellement dans Edgar Poë. Il se met alors, avec la passion qu'il apportait<br />

à tout ce qu'il aimait réellement, à faire cette traduction qui tint toute sa vie jusqu'en<br />

i865. Et, détail tout à fait touchant, tout à fait joli, cet homme qui ne demandait<br />

jamais rien pour lui, ne cessa de multiplier des démarches pour qu'on parlât de ses<br />

traductions d'Edgar Poë. Il alla supplier par trois fois Sainte-Beuve, qui d'ailleurs<br />

promit tout et n'accorda rien. 11 courait les critiques, les éditeurs. Il a eu — je crois<br />

que je l'ai écrit quelque part — il a eu deux charges dans sa vie, auxquelles il<br />

sacrifiait tout : Jeanne<br />

Duval et Edgar Poe.<br />

Mais nous approchons de la date culminante de l'existence de Baudelaire : la<br />

publication des Fleurs du Mal.<br />

Le manuscrit avait été livré à Malassis, au début de février 1857. Il en avait paru<br />

déjà dans la Revue des Deux Mondes, avec une note de présentation assez flatteuse<br />

mais un peu timide, une douzaine de poésies. Mais le volume enfin allait paraître.<br />

Seulement, il y a un détail à remarquer, c'est que les Fleurs du Mal sont prêtes en<br />

i85o et que Baudelaire ne les livre totalement qu'en 1867. Vous sentez là à la fois la<br />

neurasthénie ou les difficultés qui opprimaient Baudelaire et lui enlevaient la réso-<br />

lution qu'il faut pour publier, et en même temps son goût passionné de la perfection<br />

qu'on ne trouve pas toujours chez certains littérateurs récents qui vont plus vite et<br />

qui apportent plus de hâte soit à écrire, soit à se manifester.<br />

Nous retrouverons du reste cette même timidité, cette même minutie dans la<br />

correction des épreuves. II restera six mois avant de donner le bon à tirer.<br />

Enfin le volume paraît. Il n'était pas en vente depuis un mois qu'éclatait, dans le<br />

Figaro, un article d'un certain Bourdin le dénonçant à la justice. Ce Bourdin était le<br />

gendre de Villemessant, directeur du Figaro, journal alors vaguement officieux; puis<br />

c'était bien, à ce moment-là, de défendre la morale, de crier contre les ouvrages légers.<br />

Enfin un article d'une violence telle que le ministère, soit qu'il fût de mèche avec le<br />

Figaro, soit qu'il fût stimulé par le dénonciateur, ordonna des poursuites. Baudelaire<br />

est affolé, il court partout, il demande des articles à tout le monde, il prend comme<br />

défenseur M. Chaix d'Est-Ange, quoique il ne soit pas bon avocat, mais parce qu'il est<br />

bien avec le ministère d'Etat et qu'il espère que cela le sauvera. Il publie des articles<br />

de Barbey d'Aurevilly et d'autres, dans une brochure intitulée Pièces jusUficatives<br />

et tirée à 5o exemplaires, qu'il envoie à ses juges, à toutes les influences du jour... Et<br />

le procès enfin s'ouvre.<br />

11 faut vous dire que Baudelairen'était pas seul sûr les bancs de la correctionnelle.<br />

Il y avait avec lui Debroise et Poulet-Malassis. Je vous parlerai avec quelques détails de<br />

ce dernier, puisque nous sommes entre amis des livres et que Poulet-Malassis est une<br />

des physionomies les plus curieuses de la librairie au siècle dernier. Debroise, c'était<br />

un associé éphémère qui avait mis de l'argent dans l'affaire et qui se retira dès que<br />

l'affaire devint mauvaise. Malassis, au contraire, était d'une vieille famille d'imprimeurs<br />

d'Alençon. Il était très lettré. Ancien élève de l'Ecole des Chartes, puis, à la<br />

sortie de l'école, repris par le métier familial, il avait formé le rêve, qu'il a réalisé<br />

d'ailleurs, d'éditer de jolis volumes, en jolis caractères, sur du beau papier et de ne<br />

pas les vendre trop cher, à l'inverse de la librairie d'alors qui vendait bon marché,<br />

mais des impressions hideuses. Malassis avait décroché Banville, il s'occupait de décro-<br />

cher Gautier, et finalement il avait décroché Baudelaire. Mais avec Baudelaire, les<br />

relations furent quelque chose de tout à fait spécial; ce fut une véritable fratSrnité

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