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CAUSERIES FRANÇAISES - World eBook Library

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<strong>CAUSERIES</strong> <strong>FRANÇAISES</strong><br />

Je crois vous avoir fait sentir ce qu'était l'esprit de Baudelaire, ce qu'était cetle âme<br />

supérieure et cette intelligence plus que d'élite. Maintenant, nous allons le voir aux<br />

prises avec l'autre champ dont il parlait dans une poésie que je vous citais tout à<br />

l'heure, aux prises, après l'art, avec l'amour.<br />

Je vous ai dit que son voyage à l'île Maurice avait exercé sur lui une profonde<br />

impression. Chez un autre poète, que serait-il résulté de ce séjour d'une ou deux<br />

semaines? Quelques souvenirs de voyage, quelques notes sur les pays chauds, quelques<br />

portraits de créoles ou d'Indiennes. Chez Baudelaire, rien que ce bref séjour dans une<br />

île éloignée, qu'il rêvait pourtant de quitter sur l'heure, laissa en lui une nostalgie,<br />

comme je vous l'ai dit, une nostalgie éternelle, et non pas une nostalgie des lieux<br />

mêmes où il avait vécu puisqu'il les avait abhorrés, mais la'nostalgie de la transfigu-<br />

ration qu'il va leur imprimer et de l'espèce d'Eden incomparable que son imagination<br />

peu à peu en avait créé.<br />

Voici, par exemple, deux poèmes ({u'il écrivait presque à son retour, qui indiquent<br />

le tendre et même passionné souvenir qu'il avait gardé des femmes de ces régions<br />

lointaines.<br />

Mlle Ducosva vous dire ces deux poésies, l'une, «A une Malabaraise* », qui dépeint<br />

la beauté spéciale de ces Vénus noire?, et l'autre, «Bien loin d'ici ^», qui est de la môme<br />

note et qui vous montrera une certaine Dorothée dont Baudelaire n'oublia jamais les<br />

attraits.<br />

On a cru longtemps que cetle Dorothée était un personnage imaginaire. A la<br />

vérité, Dorothée était une négresse au service de la famille Autard de Bragard, vieille<br />

famille française ([ui avait émigré là-bas. Dorothée était une très jolie fille dont<br />

Mme Bosenmark, née Autard de Bragard, a parlé dans un article paru l'an dernier...<br />

Elle a donc existé. C'était, comme je l'ai dit, une très jolie lille, qui devint plus tard<br />

nourrice, dans la famille de Bragard, une jeune et charmante négresse dont Baude-<br />

laire s'était énamouré. « A une Malabaraise » concerne un peu Dorothée, mais c'est<br />

surtout l'autre poésie, « Bien loin d'ici » qui la concerne. J'ajouterai que la jeune<br />

servante avait tellement frappé Baudelaire qu'il fit également sur Dorothée un poème<br />

en prose que je voulais vous lire, mais le temps nous presse. Je vous dirai donc seulement<br />

deux mots de ce genre de poèmes.<br />

Vous savez que Baudelaire s'était épris de l'idée de faire des poèmes en prose, à la<br />

suite de la lecture d'Aloïsius Bertrand, l'auteur de Gaspard de laNuil; mais il avait à ce<br />

sujet une grande préoccupation qu'il exprime dans une lettre inédite : il ne veut pas<br />

avoir l'air « de faire le plan d'une chose à mettre ensuite en poésie ».<br />

C'était une crainte vaine. Je ne dirai pas que ses poèmes en prose aient une valeur<br />

poétique et plastique égale à celle des Fleurs du Mal, mais il y a là autant de pensée,,<br />

autant de sensibilité, autant d'émotion, autant de goût, autant de sens du mystère que<br />

dans les Fleurs du Mal, tellement que plusieurs sujets des Fleurs du Mal se retrouvent<br />

dans les poèmes en prose. Ces poèmes en prose sont donc une portion très importante<br />

de Baudelaire que je vous engage à lire et à ne pas négliger.<br />

El nous voici par ces vers directement ramenés aux amours de Baudelaire, car de<br />

ce goût des pays lointains, de ce goût de l'exotisme, Bnudelaire n'avait pas conservé<br />

que des souvenirs; il en avait gardé une prédilection spéciale, peut-être d'abord ignorée<br />

de lui-même, et qui se révéla à lui dès la première femme qu'il rencontra lui rappe-<br />

lant celles qu'il avait aimées là bas, la fameuse Jeanne Duval, la mulâtresse, celle qu'on<br />

a appelée « la Muse noire ».<br />

Dévergondée, médiocre d'esprit, méchante, elle s'empara de l'âme de Baudelaire;<br />

1. A une Malabaraise. Édition Calmann-Lévy, pièce XCil.<br />

2. Bt»n loin d'ici. Édition Calmann-Lévy, pièce XGIV.

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