Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

Si l’on admet que le mot utopie ait évolué avec les multiples usages qui n’ont eu de cesse de
transformer son sens primitif, il semble que l’on puisse synthétiser notre parcours en
considérant que la production utopique de la ville puisse être appréhendée comme un corps de
doctrine politique et un modèle d’action sur la ville. A l’instar de Paul Ricoeur, on peut
s’interroger sur l’émergence d’une idéologie « sur » et « de » la ville. Mais, comme le rappelle
opportunément cet auteur, l’utopie n’est pas l’idéologie et réciproquement. L’idéologie
urbaine est le reflet des modes d’appréhension et des grilles de lecture de la ville
contemporaine mais n’est guère capable de maintenir son objet à distance, de produire une
critique de son propre discours.... à la différence de l’utopie. L’utopie fonctionne aussi comme
un miroir, elle reflète les questions fondamentales, notamment d’ordres scientifiques et
pratiques, que l’on se pose (questions qui peuvent être très diverses : sur la sécurité, sur la
dilution du lien social, sur la « mixité » sociale ou intergénérationnelle, sur l’accès aux
services publics....) dans des contextes géographiques et historiques précis. Elle sous-tend et
constitue le substratum à partir desquelles se constituent les capacités des acteurs à concevoir
de nouvelles solutions.
L’élaboration de cette doctrine ne consiste pas à proposer des solutions simplistes à des
questions complexes mais à valoriser, autour de la mise en œuvre de solution(s), un effort
d’inventivité voire de prise de risques politiques.
La production utopique pourrait se concevoir comme l’expression discursive et comme l’outil
stratégique de la mise en œuvre d’un projet de nouvelle société, en rupture avec celles qui
préexistaient comme avec celles qui l’environnent. La question du ou des territoires de la
production urbaine utopique est fondamentale. La territorialité de la production utopique se
justifie notamment par l’affichage des singularités, de différences et se signifie par l’érection
de limites ou de frontières entre l’espace travaillé par la production utopique et celui qui ne
l’est pas.
L’alternative urbaine peut être analysée comme le résultat d’un projet politique qui trouve une
partie de son inspiration dans le genre utopique. La définition territoriale de cette alternative
permet d’envisager « la construction spatiale du fait social » sous l’angle d’un paradoxe
apparent : si l’utopie est, traditionnellement et étymologiquement un « non lieu », la
production utopique ne saurait évacuer aussi simplement la question de la territorialité.
Nous considérons la question de la production utopique à la fois comme la résultante d’un
projet politique à caractère alternatif et comme la résultante de pratiques socio-spatiales
innovantes.
La question de la production de l’urbain peut ainsi être envisagée sous l’angle de la
production utopique. L’intérêt de ce « détour » 69 du point de vue de la recherche consiste à :
identifier les modes d’élaboration d’une nouvelle idéologie urbaine, d’un corps de doctrine
qui construit un ou plutôt des modèles archétypiques de ville ;
69 Nous utilisons ce terme dans le sens que lui a donné Georges Balandier, In Le détour, pouvoir et modernité,
Ed. Fayard 1987.
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