Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

tentant: si je veux ma vie de château, mon domaine, il est possible d'aller le prendre sur ces
terres sauvages. J'aurai une ferme en Afrique. Une petite maison dans la prairie. Châteaux en
Espagne. Reconquiesta, croisades, missions civilisatrices de l'occident. Comme l'aristocrate,
qui est entouré par des serviteurs qui n'ont pas le sang bleu, le colon, fait glisser la barrière de
la couleur du sang sur la peau. Le noir, l'indien sont des menaces ou des serviteurs à celui qui
colonise. Explorer, civiliser, ramener à la civilisation, au château, momies, marsupilamis ou
peuples d'éléphants, voilà l'aventure. Mais il fallait pour cela que la terre coloniale fût
légitimement nôtre.
Or, force est, avec la décolonisation, de reconnaître la liberté de son double, lointain Yéti,
Marsupilami, Wouly Wouly, qu'on était bien prétentieux de lui ôter au nom d'une "civilisation
christo-scientifique" à laquelle on ne peut plus croire. Le mal et le bien s'interrogent,
s'inversent. Rupture nécessaire, révolution mentale. Le temps des antihéros apparaît. La nature
ne doit plus être colonisée par la science de l'occident, mais défendue contre elle (Zorglub.
Wouly Wouly). D'ailleurs, agressée, elle se fâche. (Marsupilami, ou bien ce placide dinosaure
du Mésozoïque Park éruption de vol 714, dans un contexte de décolonisation). L'utopie
coloniale se transforme en utopie tiers-mondiste, le rêve de comprendre et d'explorer la nature
devient celui de la protéger. L'ailleurs est désormais extra-terrestre (planète molle, vol 714, du
cidre pour les étoiles pour ne prendre que les auteurs étudiés.)
Il peut être étrange de trouver une continuité entre les colonialistes et les écologistes, entre les
néo-ruraux partant pour Katmandou et ceux qui rêvaient de la vie de château. Un constat,
toutefois. Hergé s'affirme, dès l971 (donc très tôt) politiquement écologiste et, dès 1958,
philosophiquement Bouddhiste. Tintin avait pris les chemins de Katmandou (dix ans avant les
Beatles, pas encore anoblis). Fournier successeur chevelu de Franquin fait de Spirou un
militant antinucléaire (l'Ankou), quand Gaston milite pour green-peace...
La démocratisation de la vie de château, une utopie d'utopie?
Deux conclusions: la première est que chez Jean de Brunhoff, le problème posé par la
question de la démocratisation de la vie de château avait trouvé au moins deux réponses
utopiques qu'il est assez facile de relier aux modèles ultérieurs du périurbain. Si la vie de
château était, peut-être, une utopie, (voir ce que nous en disions à propos de madame de Ségur
et de Hergé) sa généralisation, sa démocratisation, en est une dans les termes même. Utopie
d'utopie, comment démocratiser l'organisation aristocratique, modèle élitaire de l'espace?
C'est, au fond, déjà la question de Toqueville. De Brunhoff explore plusieurs solutions qui
apprivoisent les peurs, où le bien, sûr de lui, l'emporte sur la sauvagerie par l'éducation, l'ordre
établi collectif, la fantaisie individuelle ou la cellule familiale. Mais ces réponses sont
transitoires. La période de 58/65 ne parvient pas à maintenir l'idéal double de la mission et du
domaine: le doute sur l'ensemble des raisons de partir conduisent à trouver invivable l'univers
castral, menacé par sa réduction même. Cette réduction est inévitable, car si tout le monde
veut vivre dans un château, avec un parc, une crise spatiale se produira avec ses inévitables
conséquences sociales. De Ségur à la petite maison dans la prairie, on passe par Toqueville.
D'autre part, ces rapprochement dans l'élaboration et la destruction de modèles, montrent que
l'utopie elle même n'est qu'un moment du processus créateur. Que les mêmes supports, les
mêmes auteurs, peuvent très bien proposer successivement plusieurs utopies à partir des
mêmes convictions, interrogeant les formulations utopiques qu'ils viennent de produire, les
détruisant rageusement ou les inversant, si elles s'avèrent insuffisantes. L'utopie apparaît
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