Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

temple sacré, bateau de Monfreid qui semblait pourtant un havre, décor qui semblait une ville,
bien et mal se masquent, la folie menace. Le héros intervient pour rien. Le monde est-il un
asile de fous ? Les temples des Dieux, chausse-trappes ?
Château et Vaisseau, la découverte des lieux légitimes
Progressivement, apparaît un lieu légitime, un lieu à défendre, menacé, qui est celui du
triomphe du bien et du pouvoir bénéfique. Sauvé par le voyage du héros. Est-ce la mission
catholique coloniale ? Non. Elle n'avait pas besoin de Tintin, et, du reste, les temples religieux
sont si facilement menteurs (Dupond parlant pour Shiva, Ridgwell pour le totem Bibaros, et
cela sans compter l'opium qui mêle toutes les religions ou le pétrole qui jaillit des entrailles de
la terre sacrée des indiens. Tintin lui-même est totemisé). La rencontre avec Tchang (jeune
sculpteur étudiant chinois de Bruxelles) est primordiale pour George Rémi. L'abbé, trop
engagé à l'extrême-droite aux yeux du clergé, vient de perdre la direction du journal. Hergé
apprend beaucoup de Tchang, dont il fait un personnage guide pour Tintin. Hergé renonce au
modèle colonial (japonais comme occidental). Les Arumbayas n'apprendront jamais à jouer
correctement au golf. Rigdewel, lui, sait envoyer une fléchette au curare. La concession
européenne vaut moins que la ville chinoise.
Ce lieu, c'est le château. Dans les Cigares du pharaon, le maharadjah est menacé par le tigre, et
son palais est menacé, dans les arbres mêmes de son parc, par un repère de méchants. Son fils
est enlevé. Tintin rétablit l'ordre. Le lieu légitime existe. Ni ville, ni campagne, il est le double
inversé du château de Chicago ou des deux demeures de l'île noire : le palais, la demeure des
Wang en périphérie de Shanghai, celui du maharadjah comme celui de Muskhar. Le lieu idéal
à préserver est une famille meurtrie dans sa demeure des abords de la ville, qui fait
contrepoint aux temples piégés et aux souterrains. Parfois, simple escale (l'hacienda de
l'Oreille Cassée ou la maison de Golwood), ce palais abrite le héros, est son refuge. Rien ne
sert de vouloir y prendre le pouvoir par la fausse monnaie (l'Ile noire), la révolution ou la
guerre : le pouvoir ne se prend pas (l'Oreille cassée).
Le rôle du héros est de le rendre à son légitime détenteur : résistance contre les Japonais
trafiquants d'opium, visant à asservir la Chine de Tchang, sceptre d'Ottokar qui sauve un
souverain qui pourrait être Belge contre un Musstler qui est Mussolini et Hitler. La vraie
valeur du pouvoir tient dans sa légitimité. Un objet sacré, unique, fétiche, sceptre, fait toute la
différence entre un roi et un gorille, un fétiche et sa reproduction (cf. Michel Serre). Le retour
des objets à leur place vaut triomphe du héros (Oreille cassée, Sceptre). Rien ne sert aux
méchants de défendre le château du mal par la terreur (Ile noire), la violence sauvage (bibaros)
ou les faux semblants (le Lotus bleu). Tout sauvage trouve son maître.
Première indication: le lieu idéal est un château familial légitime, mais menacé Mais Tintin ne
peut en rester là. Le palais, si doux, si confortable, cache en effet, pour le fakir qui lit l'avenir,
des douleurs dans les coussins. L'aventure appelle le héros. La fin du Lotus Bleu le dit: "A
Tintin, toi, dont le courage et la noblesse ont fait refleurir la joie dans cette demeure indigne
de t'abriter." "Il y a un arc-en-ciel dans mon cœur, vénérable! Je pleure le départ de mon frère
Tintin et je ris de retrouver un papa et une maman." Là, demeure la noblesse, la famille
recomposée par l'adoption, le premier espace légitime. "Adieu, donc, cher Tintin, que dans ton
pays d'occident, d'autres amitiés recueillent le souffle de la longue course que tu vas
entreprendre". Le Navire, lieu du voyage du héros, est le second pôle de la légitimité.
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