Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

Pourquoi repartir? Parce que si l'on compare la fin du Lotus et celle de l'Ile noire apparaît une
vérité moins claire: le gorille apprivoisé, brisé (comme le fétiche revenu au musée) ne fait plus
peur, est désacralisé. Enfermé, il pleure le départ de son geôlier. Tchang aussi avait pleuré. Et
si la famille était une cage? Et si le château seul n'était, à son tour, qu'une prison? "Je peux
partir tranquille". Et si le lieu idéal était celui du voyage? Et si la légitimité était moins dans
l'objet "trésor" que dans la course qu'il a provoquée, le retour aux sources de l'objet que
l'Occident dérobe pour l'enfermer en un musée?
Il est, en effet, un autre lieu qui prend toute la place, pour le globe-trotter, c'est la mer, le
désert, la forêt, la toundra, la prairie, la brousse... lieu de chasse, d'étendue, nature sauvage,
fleuve, montagne, tempête. Menaçant (brume de l'île noire, tempête et requins, rapides de
l'Oreille cassée ) ou rassurant, c'est le lieu du déplacement. Tintin bouge, court, parcourt.
Voleur de tout ce qui bouge, vole, roule, vogue; vitesse, accident, technique, chute... La liste
en serait infinie. Mais ce qui légitime ces vols, cette incessante traversée, c'est de chercher le
légitime objet qui reconstituera l'harmonie brisée. Le vaisseau devient alors aussi important
que le château. Il s'agit de montrer que le héros est capable de prendre en main "le coursier du
père "(voir le stratoneff H22), de régler le complexe de Phaëton. C'est dire combien
l'explosion des moteurs des premières pages de l'Or noir (celles de la guerre) menace le héros.
Sans véhicule, sans carburant, le héros n'est qu'un roumi défaillant de soif dans le désert, ou
un bédouin enveloppé d'une tempête de sable. La légitimité du héros est de maîtriser l'espace
et ses bolides (technique comique de Tintin au pays des soviets, habileté du piroguier), d'aller
plus vite et plus précisément que les autres: ceux-ci sont des novices (Dupondt voltigeurs dans
la télévision) ou des ennemis (l'avion gris...). La chance sert le héros (train arrêté en
Amérique, chute sur la paille en Syldavie...), sans doute parce que si le héros peut-être blessé
(Lotus) il sera toujours vainqueur. Vaincre la mort (invulnérabilité du héros), le temps
(jouvence de la création), l'espace (liberté du voyage) et le mal illégitime. Mythe ou Utopie?
MOULINSART: DU MODELE ARISTOCRATIQUE A LA VILLE EMERGENTE.
Hergé dans la guerre: à la recherche d'un mode de vie d'utopie.
Le mythe implique l'action du héros: la recherche d'un père par un enfant immortel s'en
approche (au fait, Rémi, c'est aussi le prénom du héros de Sans Famille qui finit dans un
château anglais). La famille recomposée relégitimée est récompense. Mais il ne peut être
question pour le héros de rester. L'aventure recommence, toujours nouvelle, sans avoir vieilli
(la chronologie des albums finit par se brouiller, voir ainsi au fur et à mesure des reprises, le
sheik des Cigares du pharaon présenter Objectif lune, c'est à dire son avenir, à Tintin:
uchronie.)
L'utopie, en revanche est un lieu clos, dont l'organisation est idéale. En ce sens, le double lieu
château / bateau a à voir avec l'utopie. Ce couple implique un espace clos et légitime, palais
familial, entouré par le parc des étendues naturelles., que le héros peut traverser, domestiquant
coursiers, avions, pirogues, hydravions, navires et voitures. Ce lieu, menacé par les pouvoirs
occultes qui peuvent en faire un repère, est le lieu de départ d'une course dans l'étendue, pour
atteindre et sauver les autres châteaux. Tous ces éléments rapprochent de l'utopie. Monde
parfait, monde modèle, monde miroir.
Sans être infidèle au mythe, Hergé aurait pu faire de Tintin un Lucky Luke errant des
dernières images, ou un Astérix revenant au village. Il aurait pu aussi le faire entrer en famille.
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