Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

1 - Les usages scientifiques et académiques
1. 1 - De la définition comme nécessité scientifique et comme pratique académique
La thématique de l’utopie semble faire résurgence dans les préoccupations scientifiques. En
témoigne le nombre d’ouvrages à thèses, d’essais, d’articles de revues qui ont été publiés ces
dernières années (près de 200 ouvrages comportant les mots « utopie » ou « utopiques » dans
le titre ou le sous-titre ont pu être repérés dans l’ensemble de la bibliographie de langue
française à partir des années 1960). Les dates de parution de ces ouvrages indiquent bien
l’existence d’un « cycle éditorial », le thème faisant résurgence à certaines périodes pour
s’estomper à d’autres. Or, avec 89 ouvrages parus dans les années 1990 avec cette
caractéristique, il est clair que le thème connaît un succès relativement inédit. Ce succès doit
sans doute pouvoir s’expliquer mais tel n’est pas ici notre propos. Certains auteurs ont
abondamment traité de la faillite des grands récits et des idéologies, l’espace libéré serait-il
propice à la résurgence des discours utopiques, sous quelles formes ?
Ce que l’on observe surtout c’est que le terme utopie s’est à la fois dégradé et banalisé. Dans
l’ensemble de la littérature scientifique de ces dernières décennies, il n’y a en fait guère que
quelques auteurs qui se soient efforcés de relire et redéfinir l’utopie. Parmi ceux-ci, on trouve
quelques philosophes, sémiologues, historiens, urbanistes.
Pour Louis Marin, « les utopies n’ont jamais été que des livres » 1 , l’Utopie est un produit
textuel, en tant que tel, elle « pourrait alors se définir comme une représentation figurative
dans le texte 2 ». Cette représentation se caractérise par son ambivalence, sa capacité à faire
cohabiter des contraires, elle relève du genre neutre, ne uter, « ni l’un, ni l’autre » mais la
fiction de la synthèse des deux (Louis Marin rappelle que Utopie ne relève ni de l’Ancien, ni
du Nouveau « monde »). Par ailleurs, toujours pour ce même auteur, « L’utopie n’est pas de
l’ordre du concept, mais elle n’appartient pas non plus à celui de l’image : elle est une figure,
un schème de l’imagination, une fiction « produite-productrice ».
Dès lors, il faut bien admettre que beaucoup sinon la quasi totalité des expériences que l’on a
pu considérer comme étant des utopies ne l’étaient pas vraiment. En tant que livre, œuvre
littéraire, il est par ailleurs unique et non reproductible sinon sous la forme dégradé du plagiat.
L’Utopie est un nom propre, le nom d’un livre signé par son auteur. Louis Marin considère le
pluriel des utopies pour s’intéresser au « champ de dispersion du discours utopique » 3 . Ce
même auteur introduit encore une réflexion sur « la pratique signifiante utopique » qui permet
d’envisager la question de la référence à l’utopie sous un nouvel angle , précisément celui
d’une « pratique signifiante » qui n’est pas l’utopie mais qui s’y rapporte ou s’y réfère.
Que l’Utopie s’inscrive depuis la date de sa création, au milieu d’un « champ de dispersion »
autorise à s’intéresser à l’Utopie comme un genre, autrement dit, un cas d’espèce qui aurait eu
une nombreuse postérité. Pour se référer à l’utopie, les pratiques, quelque éclatées qu’elles
puissent être, puisent dans un ensemble de caractères génériques. L’ensemble de ces
caractères génériques constitue en quelques sortes la clé d’interprétation de l’Utopie.
1 Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces ; Les Editions de Minuit, 1973, p°17.
2
3 Idem, P°9.
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