Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

approche de la ville comme un espace fondamental de l'imaginaire. On peut retrouver les
travaux de ces équipes de recherche dans quelques numéros d'Espaces et Sociétés et quelques
références d'ailleurs dans l'article de Michel Lussault 71 . Ce sont des travaux qui au fond ont
plus fait confiance à l'approche de la pensée urbaine dans les différents registres de
l'imaginaire, dans les structures anthropologiques de l'imaginaire, telles que Gilbert Durand
les avait pensées, mais aussi dans les travaux de Louis Marin ou dans les travaux plus anciens
et empruntant à d'autres champs comme ceux de Bastide... Il s'agit de toute une série de
travaux dans les sciences sociales qui, sans converger tous, ont tous dit un certain nombre de
choses de fond. En effet, l'utopie n'était pas à inscrire seulement dans le discours qui se dit
utopique, comme le discours de More qui dit" je suis utopie" et qui du coup est vécu comme
un discours formidablement répétitif et qui se veut hyper-rationnel, au point que de toute
évidence il est ailleurs. Et on pouvait même, à condition d'aller "gratter" un peu du côté d'un
certain nombre d'éléments des théories analytiques, montrer (je pense par exemple au travail
de Manoni Oscar) que l'utopie était sans doute de même nature, c'est-à-dire le "je sais bien,
mais quand même" qui est au coeur de l'imaginaire: "Je sais bien que ce n'est pas vrai, je le
construis comme du possible, mais quand même et si ça pouvait l'être". Autrement dit, ça ne
croit pas que ça sera, mais ça ne peut pas renoncer à l'espoir que ça puisse l'être.
Il y a donc toute une série d'éléments qu'on pouvait emprunter aux différents champs de la
sociologie, de l'anthropologie, de la psychologie pour éclairer la question. Et pour moi en tout
cas à titre personnel, ce "je sais bien, mais quand même " était extraordinairement formateur,
avec par ailleurs les travaux qui ont été faits sur l'espace de l'imaginaire, qui bien entendu n'est
pas l'imaginaire de l'espace. Mais c'était un travail en soi qui a été effectué y compris dans la
recherche urbaine à ce moment là (Baudrillard par exemple ayant aussi travaillé sur un certain
nombre des éléments de recherche sur la ville qui nous ont été fort utiles).
Voila pour quelques éléments dans les années 70. Mais la question de l'utopie, on ne l'a jamais
posée telle quelle: elle est très souvent là, le plus souvent en non-dit (il n'y a qu'à relire
quelqu'un comme Pierre Sensot par exemple pour se dire qu'on trouvera forcément des
éléments de référence y compris à caractère littéraire des choses où l'utopie est présente).
Mais il y a quand même à la fin des années 70, un basculement tellement fort dans les choses,
dans les villes, dans le réel que, les courants de recherche, tant du point de vue du politique
que du point de vue intellectuel, ne peuvent pas ne pas basculer eux aussi par rapport à des
questions comme celles-ci. Notamment bien évidement, le fait que l'urbain paraît, à la fin des
années 70 en France, comme entrer dans une phase de croissance limitée et par conséquent
dans laquelle le stock si j'ose dire dont nous vivons devient tout à fait dominant dans les
pensées que nous pouvons exercer sur elle. Il y a encore des éléments de croissance, mais il y
a malgré tout par rapport aux années 70 et à la fin des années 60 beaucoup moins de pensées
démiurgiques sur la ville. On est beaucoup en situation de démiurge de la production urbaine;
en revanche on a de bonnes raisons de poser toute une série de questions sur ce que les uns
interprètent comme de la dégradation urbaine, sur laquelle il faudrait comme vous le disiez
procéder à des travaux correctifs et que d'autres considèrent au contraire comme étant, grâce à
la décentralisation, grâce aux nouvelles responsabilités des élus locaux, grâce à l'entrée dans
d'autres formes de démocratie locale, au fond comme une chance à saisir pour donner à la
ville une autre image, un autre mode de fonctionnement que celui qu'on connaissait. On a
71 Michel Lussault, Un monde parfait : des dimensions utopiques du projet urbanistique contemporain, Chapitre
8, p. 151 et ss., In Utopies Urbaines, op. Cit.
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