Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

comme la recherche créatrice de l'artiste appliquée à l'organisation sociale. Un moment de la
pensée. L'utopie semble être l'outil équivalent en science politique de l'hypothèse en science
appliquée. Il ne faut pas être dupe de sa technique de discours. L'utopie comme l'hypothèse
affirme que sa valeur est absolue et éternelle, alors qu'elle n'est qu'un moment de la pensée,
qu'une proposition de réponse. Elle affirme qu'elle est autonome, qu'elle forme un tout, une
nouveauté, alors qu'elle n'a de sens que reliée. Comme une hypothèse, elle ne se passe ni des
précédentes, ni des expérimentations, ni des lois générales, ni, surtout, du doute. Elle est
même tout entière doute. Mais, par nature, elle propose une affirmation qui dirait le vrai
définitif. Enchaînement, multiplicité, contradiction, les utopies ne sont peut-être que des
questions posées aux sociétés pour qu'elles vérifient leur fonctionnement.
LE CHATEAU ET LA GLOIRE: L'UTOPIE ENTRE DEMOCRATIE ET ARISTOCRATIE
Pagnol et l'utopie des vacances
A ce sujet, l'étude la plus interressante sur la démocratisation de la vie de château et ses lien
avec le périurbain est peut-être un livre qui n'a pas été écrit par un géographe. En 1956,
(époque où Hergé, Brunhoff et Franquin commencent à douter de leur modèle implicite)
Marcel Pagnol, académicien dont la carrière s'empâte, raconte chez les Lazareff l'histoire des
quatre châteaux de son enfance. Hélène lui demande une nouvelle pour "Elle". Cela devient en
1957/58 l'un des livres les plus lus en lecture suivie à l'école primaire ou en début de
secondaire. L'académicien est habile à jongler des genres secondaires pour les relier aux
"nobles". Littérature régionale des florettes ou des sources qui devient tragédie, théâtre de
boulevard qui fait de Topaze un conte moral, cinéma comique pour traiter en philosophe de la
filiation entre César, maître à bord qui reste à quai et Marius qui part à bord.
Une autobiographie est-ce bien une littérature enfantine? Pas nécessairement (Sartre,
Rousseau). Pagnol l'affirme, qui se met dans la "fonction naturelle des grands-pères", qui
raconte, non plus "Peau d'âne, la Belle et la bête ou Riquet à la houppe" mais l'histoire des
vacances de Marcel et de Paul, dont le père instituteur loue avec "l'oncle" antifonctionnaire un
mas, un cabanon, une "bastide" une "villa" au village de la Treille, bien au delà du terminus de
la ligne de tram (mais toujours dans la commune de Marseille, sa banlieue immédiate). Cette
histoire est d'un lieu et d'un temps. Mais comme toujours chez Pagnol elle prétend à
l'universel (uchronie et utopie) "les petits garçons de tous les pays du monde et de tous les
temps ont toujours eu les mêmes problèmes, les mêmes malices, les mêmes amours" "une
chose ne changera jamais, c'est l'amour des enfants pour leur mère, et j'ai écrit ce livre pour
apprendre aux petites filles comment leurs fils les aimeront un jour."
Gloire de mon père: utopie d'un bonheur familial: île fermée rejointe après un voyage, au bord
du "désert", sans chameaux, en un lieu qui n'en est pas un, en un temps qui n'est pas non plus
un temps, vacance, vide, bonheur familial hors du fonctionnement ordinaire, monde parallèle.
Le père savait tout. Il doit apprendre à devenir chasseur. C'est son fils, chien de chasse
imprévisible qui le sauve en lui faisant faire le coup du roi (la double bartavelle) qui le rend
digne d'être photographié en son immodestie par l'ennemi, le curé du village. Son personnage
change: il est le propriétaire du mas, celui des bartavelles. La vie de château comme idéal:
voilà l'instituteur radical maître en son domaine, à la limite de la sphère urbaine qui mine la
santé de sa femme, à la lisière de ce monde rural sauvage, ignorant, où l'on se perd. Tiers lieu,
toujours, entre l'urbain et la nature terrain de chasse.
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