Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

Château de ma mère: afin de gagner du temps, balafrant les parcs des grands domaines entre la
fin du tram et la campagne, le canal traverse les châteaux que contourne la trop longue route,
pas assez républicaine pour couper ce reste d'aristocratie replié en ses murs. L'instituteur,
promis aux palmes académiques, était la rigueur même. Il triche pourtant pour traverser les
parcs des châteaux avec la clef prêtée par un élève employé du canal. Pour aller rejoindre le
"château" familial, il faut se faufiler dans un parc où un molosse et un garde veillent. Un
cadenas, et c'est le drame: menace sur les palmes et la carrière du fonctionnaire et sur la
fragile santé de la mère qui s'évanouit. Le vrai pouvoir reste pourtant à l'employé du canal
républicain qui fait sauter le PV du garde privé, mais aussi à la courtoisie du propriétaire,
soldat d'un temps révolu, au visage balafré par le sabre prussien de 1870, baisant la main à la
mère de Marcel qui rosit.
La victoire du château est aussi sa perte. Et réciproquement?
Le monde aristocratique est ainsi comme ouvert en deux, balafré, par la république et son
canal, ses fonctionnaires, s'imposant sur cette vieille "règle du jeu", vaincue déjà, et qui ne
peut plus séduire les enfants, cette république qui prépare en ses écoles, la revanche. Lili
donnera sa vie de banlieusard sauvageon qui parle si mal le Français, (rural, certes, mais bien
des quartiers de banlieue); Marcel sera réformé. Egalité? C'est donc aussi le début d'un
changement de statut de l'espace villageois des banlieues, dominés dans la chasse même par le
flux des urbains. Ancrage dans le réel: Marseille comme Lardenne s'urbanise déjà par les
vacances et les pique niques, les mas, qui font d'un cabanon un ersatz de domaine. Les grives
ne reviennent plus et le "peuple (l'instituteur n'en fait pas partie) a des défauts qui ne viennent
que de son ignorance; mais il est bon comme le bon pain et il a la générosité des enfants
(lesquels, sataniques, souhaitent comme le paysan que le notaire "crève").
Fin de la fête: le monde aristocratique et rural est condamné par l'envahissement. La
démocratisation de la vie de château, taillade, puis rachète, éventre et laisse se ruiner ce
monde qui humiliait. Le fils de l'instituteur, par l'industrie cinématographique, rejoint l'élite,
transforme le château en studio, et violemment se venge en brisant la porte (et dans la réalité
en laissant le château de la Buzine se ruiner jusqu'à sa vente à un lotisseur en 1973).
Mais en même temps, l'idéal "missionnaire" républicain, travaillé par ce désir de coup du roi,
ce rêve de château, cette utopie des décorations, du lycée pour le fils, de l'ascension, élitaire,
est également trahi par le père de Marcel, usant d'un passe-droit. Lui qui "considérait toujours
les "nobles" comme des gens insolents et cruels, ce qui était prouvé par le fait qu'on leur avait
coupé la tête" entoure de bleu blanc rouge la vaillance militaire du cavalier de Reichoffen qui
lui ouvre sa propriété et sait l'histoire puisqu'il l'a faite. Quant à l'idéal républicain, Topaze
montre qu'il ne paie guère. Et la soeur de Bouzigue sait y faire pour "récompenser le vice"
dans les bras d'un conseiller général. Du reste, la morale est mensonge. Le père de Marcel ne
trompait-il pas sa femme enceinte de Marcel avec la femme du boulanger d'Aubagne, dès
avant sa naissance? Marcel deviendra académicien (donc homme de la noblesse d'épée, de
langue comme de robe). Sévère avec l'idéologie de son père.
Fin d'une utopie de la gratuité morale du savoir: écroulement de l'utopie aristocratique face à
la démocratique et forte république, mais triomphe sournois du modèle, puisque l'ennemi
même laisse sa femme rougir lorsqu'on lui offre une rose. Il y a là un écho à l'envahissement
du château par les Lampion, la classe moyenne qui cherche à conquérir ce périurbain en
reproduisant, sans le souhaiter, en le niant même, en plus petit, le rêve de l'ennemi. Vie de
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