Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

gérer. Le monde parfait l'est pour toujours, si l'on sait éviter les pièges. Au fond, un monde
d'égaux oisifs travaillant à la bibliothèque, faisant des œuvres d'arts, c'est aussi un monastère.
Lyod Grossman analyse en détail l'architecture de Celesteville et y trouve des liens
avec Garnier et Alberti. Il est possible d'être plus général et de rapprocher Celesteville d'une
vision de ces utopies urbaines des cités jardins ou des grands ensembles, qui pourraient être
qualifiées de "vie de château collective" (des transports, des habitats, des loisirs par le collectif
du modèle monastère, phalanstère...). C'est pourquoi, malgré le pavillonnaire, l'absence de
voiture, Celesteville évoque aussi le Corbusier. Cités radieuses, plans d'Alger ou de Paris,
villes indiennes, ou maternelles lui ressemblent, non par l'architecture, mais par leur leur
insularité dans une nature parc, leur accessibilité et leur organisation fonctionnelle et
structurelle rationalisée, leur refus de l'histoire du lieu comme constitutive d'une organisation
(uchronie, tabula rasa), leur vision du monde autour d'un corps idéal physiquement présupposé
et socialement organisé par le projet. Uniformité. Rigueur morale de la norme. Le modulator
s'applique-t-il pour une joueuse de basket? et que devient Zéphir (celui qui n'est pas un
éléphant) dans cette ville? Rapidement, (voir le cas du Mirail) ce modèle des banlieues a été
critiqué, souvent sous des formes qui l'apparentent à des contre-utopies. J. de Brunhoff a à
peine fondé Celesteville, que, semble-t-il, il en voit les limites.
Sans doute conscient de ce que son modèle de Celesteville pouvait avoir de normé, De
Brunhoff utilise le personnage qui n'est pas un éléphant, individu autonome, Zéphir pour fuir
ce monde fermé dans lequel il s'est piégé lui même. C'est le problème des contes de fée et des
utopies. A la fin, il n'y a plus rien à dire. Comment faire une "Utopie de Thomas More, la
suite?" En s'autocritiquant semble se dire Brunhoff. J'ai fait un monde insuffisant. Il y manque
mouvement, diversité, liberté. Là où il y avait stabilité, absence de mouvement (l'escargot),
faire mouvement, bouger, partir. Là où il y avait uniformité, mettre de l'individualisme, de la
diversité dans les formes. Le pays des singes est mobile, celui des éléphants était statique.
Individus en mouvement. Le centre du monde est une gare, le palace, c'est la voiture qui
conduit à l'hôtel. Famille, toujours, mélange de la ville en archipel de petits domaines tous
différents (qui oscillent entre nid et château navire). Mais la maison sera petite. Babar offre un
bateau, un mouvement, toujours à l'individu qui cherche à pêcher. Et que trouve-t-il? La
sirène, la beauté, le plaisir. Métaphore de l'adolescence en quête de plaisirs et d'indépendance?
En ce cas, comment affronter ce monde des monstres (péchés soucis). Comment partir pour
Cythère (voir cette magnifique image du char sur une coquille qui fait penser aussi au
Télémaque de Fénelon), sans croiser ces fameux monstres, chassés de la ville idéale? Le
combat des disciplinées légions d'anges ou de soldats du ridicule général Huc est bien moins
efficace que la charmante invention individuelle de Zéphyr, qui apprivoise les monstres en les
faisant rire. Oui, "la vie est belle"! Chasser les maux? Non, au contraire. Vivre avec, les
apprivoiser, les amuser, les endormir. L'antimonde de Crustadèle est un monde ami. Maison
individuelle, voiture individuelle. Légèreté. Mobilité. Harmonie. Autre utopie.
Comment un même pinceau peut-il présenter deux mondes aussi divergents que
Celesteville et la ville des singes comme idéal commun? Et si la réponse était justement dans
la question? Un idéal commun qui donnerait deux mondes possibles. La vie de château pour
tous. Comment faire? Si l'on est sauvage, faible, brisé par les hommes, devenir civilisé, roi et
créateur de ville. Assurer par l'éducation la forme d'un bonheur collectif. Politique, égalité
collective. Si l'on est père, créer une famille idéale. Fraternité familiale. Si l'on est adolescent,
individuel s'arranger un bonheur personnel par son propre génie, son propre goût sa propre
mobilité. Liberté individuelle. L'organisation spatiale diffère. Celesteville, c'est l'utopie des
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