Plan Urbain Lettre de commande n°09 Emmanuel Eveno Au début ...

l'année en leurs terres, villages de vignerons et routes que tiennent les garnisons, complètent
ce paysage jusqu'au dix-neuvième siècle, avec une lente généralisation : à Toulouse, les
bourgeois étaient souvent annoblis par capitoulat et sont restés des bourgeois de la terre
comme les nomme V. Thébault. Ces châteaux durèrent plus longtemps qu'on ne le croit en
général, comme système économique spatial et politique. Ces châteaux sont bien le substrat
du périurbain.
Le Mirail, Bagatelle, Reynerie, Purpan, Rangueil... tous ces toponymes contemporains
viennent de domaine qui dament l'espace, ayant parfois conservé un rôle central
(administration universitaire ou hospitalière, locaux administratifs). Lardenne montre la lente
dévaluation par imitation de ces châteaux. Une ballade montre en effet depuis les châteaux les
plus spectaculaires jusqu'au village même, portail après portail, des gentilhommières de plus
en plus récentes, de plus en plus petites sur des parcelles où, finalement la grille n'ouvre que
sur une villa avec une tour, puis, chez le voisin, à une belle maison à étage, portant le nom sur
une plaque émaillée de "villa Margueritte". Parallèlement, certains de ces domaines reçoivent
en bordure de tel ou tel village, un moulin, une grange, une scierie, une fabrique d'article de
voyage, qui s'équipent de machine à vapeur. Ces châteaux sont bien à la base de l'organisation
du périurbain.
L'armurier, à Colomiers doit son nom à un noble responsable de la cartoucherie au XVIIIème
siècle. C'est parce que sa fille avait fait un mariage avec le propriétaire de l'Armurier que
Montel y cacha Blum en 1940, puis devint maire châtelain mais socialiste (comme nombre de
ses prédécesseurs) à la libération. Son successeur, habitant au Falcou, organisa l'urbanisation
de la ville nouvelle de Colomiers autour de projets collectifs. Traçant avec un architecte de
nombreuses allées et avenues paysagères se croisant en rond points sur l'ensemble de
Colomiers afin de donner une fluidité maximale au trafic, il s'inscrivait dans la tradition des
cités jardins. Aujourd'hui encore maire, d'une ville passée de 1800 habitants à 30000, il habite
comme deux autres conseillers municipaux dans un château. Le parc de l'Armurié reste un
espace absolument inconstructible. Les châteaux des cinq derniers maires et leurs environs ont
été les derniers urbanisés. A Tournefeuille, continuité pavillonnaire du quartier Lardenne,
l'histoire de l'urbanisation est comparable. Le devenir des élus pavilloneurs des années
soixante-dix mériterait une étude : combien ont eu la trajectoire de cette adjointe au maire
socialiste des années 70/80 qui vit aujourd'hui à l'hôtel Mensancal à Toulouse et parcourt,
sinon, ses différentes résidences d'été. Ce cas n'est pas isolé. Cornebarieu, Blagnac Cugnaux
ont eu dans les années 80 ou ont encore de tels maires. Le pouvoir château est bien à l'origine
de la pensée "périurbaine".
Finissons par ces hasards qui font sens. Chez mon opticien, de Colomiers, au mur, des
gravures du XIXème siècle montrent un château présenté à des enfants, avec un rond point
paysager. Dans cette ville du salon de la bande dessinée, la très bonne libraire, très à gauche
pédagogiquement, à laquelle je demandai si elle avait des renseignements sur la comtesse de
Ségur, m'avoua, presque confuse, qu'elle avait fait sa maîtrise dessus. Je lui dois d'ailleurs un
grand merci. Au fait, les gravures de l'opticien sont des dessins issus de la bibliothèque rose,
de la comtesse de Ségur. Pareilles coïncidences valent-elles preuves qu'une vision trop
radicalement en solution de continuité des espaces périurbains masque une part des logiques
qui l'organisent ?
Leur formulation utopique laisse des traces dans les pages des livres qui ont fait les enfants.
Utopie, vers quoi le genre pousse assez facilement, utilisée pour raconter un substrat idéalisé.
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