La Déesse de Grattavache - Margelle
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met <strong>de</strong> mon crâne je voyais pendre un million <strong>de</strong> fils rouges et je ne pouvais<br />
m’empêcher d’en tirer un, au hasard. Et c’était le déluge d’images, <strong>de</strong> chocs,<br />
<strong>de</strong> souvenirs, <strong>de</strong> projets et <strong>de</strong> bruits. Avec beaucoup <strong>de</strong> peine, je parvins à améliorer<br />
mon sommeil. Je cessai pratiquement <strong>de</strong> me nourrir et je bus beaucoup<br />
d’eau. <strong>La</strong> nuit, il m’arrivait <strong>de</strong> transpirer si fort que les gouttes <strong>de</strong> sueur tombant<br />
<strong>de</strong> mon torse sur mon bras me réveillaient. Ce n’était qu’au bord <strong>de</strong> la mer, à<br />
l’aube ou au crépuscule, que je trouvais du repos. Avec obstination, difficulté,<br />
acharnement, je tentai <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r <strong>de</strong> mon esprit les boucles folles qui tournaient<br />
sans relâche. Un soir au bord <strong>de</strong> la mer, dans un petit coin <strong>de</strong> rochers où les gens<br />
ne songeaient pas à <strong>de</strong>scendre, je croisai un homme jeune, vêtu <strong>de</strong> blanc. « C’est<br />
très difficile » lui dis-je, il allait sans doute me prendre pour un drogué. Mais<br />
il acquiesça d’un hochement <strong>de</strong> tête, sans dire un mot. Inexplicablement, c’est<br />
<strong>de</strong> cette rencontre que date le vrai début <strong>de</strong> ma retraite. Je sus qu’il me fallait<br />
abaisser la température du mon<strong>de</strong>. Geler l’île et toutes ses pavanes bruyantes.<br />
Je m’exerçai à creuser autour <strong>de</strong> moi un tunnel dans lequel je me déplaçais. Les<br />
sons et les bruits s’atténuèrent un peu. Je travaillais avec passion à rendre cette<br />
roche cristalline froi<strong>de</strong> et sélective. Froi<strong>de</strong> pour geler le mon<strong>de</strong>, sélective pour<br />
laisser passer la voix <strong>de</strong> la mer, ce que chuchote le vent et les couteaux brefs<br />
<strong>de</strong>s oiseaux ivres.<br />
Avec le temps, je pus transporter mon tunnel avec moi sans effort. Il me protégeait<br />
et je le rendis opaque à tout bruit comme à toute colère.<br />
Dans les premiers jours <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>scente, j’évitai les autres autant qu’il me fut<br />
possible. J’avais développé une longue oreille <strong>de</strong> télépathe, mais, si je m’en servais,<br />
la dureté et la folie <strong>de</strong>s gens me faisaient mal. Et même peur quelquefois.<br />
Je parvins finalement, après <strong>de</strong> longues journées d’effort, à rassembler une toute<br />
petite sphère interne <strong>de</strong> cohérence. Et aussi à me refroidir. Je me pris d’affection<br />
pour <strong>de</strong>s choses simples et complexes, mon ombre sur le sable, un arbre <strong>de</strong>vant<br />
un soleil mourant, le mouvement d’une vague éclatée que je voyais avec la netteté<br />
d’un instantané. Je me suis promené au bord <strong>de</strong> la Méditerranée, chemise<br />
et pantalons <strong>de</strong> jean, pieds nus, cheveux au vent et les yeux à <strong>de</strong>mi fermés pour<br />
résister à l’éclat du soleil. Progressivement, j’ai pu constater que les gens ne<br />
me voyaient pas. Ou presque pas. Sans doute n’étais-je qu’un marginal ou un<br />
mendiant à leurs yeux, mais quand un touriste allemand me heurta en pleine<br />
rue et s’en fut en beuglant, je réalisai que je <strong>de</strong>venais sinon invisible du moins<br />
improbable. Ma température très basse me permit <strong>de</strong> résister à un été torri<strong>de</strong>,<br />
je trouvai toujours facilement <strong>de</strong> l’eau. J’expérimentai diverses connaissances<br />
auxquelles <strong>de</strong>s livres ou <strong>de</strong>s esprits m’avaient préparé. Celles <strong>de</strong>s unions fami-<br />
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