La Déesse de Grattavache - Margelle

plaît. Très rapidement je le colle dans mon avion et à huit mille pieds au-dessus
du lac d’Annecy je lui file les commandes en l’avisant qu’il est seul pilote à
bord. « Démerde-toi ! » Il se débrouille comme un chef. Personne n’est bon la
première fois à ce petit jeu mais il mémorise tous les instruments du cockpit - il y
en a beaucoup - et parvient à garder un cap approximatif et à tenir des virages de
dix à trente degrés. Il ne maîtrise pas l’altitude mais ça, c’est normal. Sa réponse
ne se fait pas attendre. Une semaine plus tard, sous un prétexte quelconque, il
me file les clefs d’un monstre de 12 cylindres développant 500 chevaux style
Mad Max, tu vois le moteur à l’arrière et il faut se laisser tomber dans un siège
baquet qui frôle le sol. Il me suggère d’aller faire un tour sur les routes durant
le week end. J’hésite, c’est plus intimidant que l’avion, sur la route on est si
proche des cons… Il faut avoir le pied léger me dit son épouse avec un sourire
énigmatique. Bon, j’y vais et ça me rappelle mes jeunes années, quand j’étais
fou de voitures. J’avais une Porsche et je partais régulièrement en Allemagne
pour aller voir Boulez. Bref, je me débrouille et je réussis à dominer la bête et
éviter les excès de vitesse. En peu de jours nous montons un projet et je dois dire
qu’il me surprend sur le plan personnel car, en dépit des gens qu’il fréquente et
des voitures qu’il conduit, il n’a rien de vulgaire. C’est un leader, super adaptile.
Sa grande spécialité est le relationnel, il tisse en permanence un ensemble de
relations tout azimuth. Impossible d’emmener ce gars dans un endroit où il ne
connaît personne. Partout, avec chacun, à la première phrase, il tisse sa toile, il
est au centre de son labyrinthe, il crée une fraternité.
- Une mafia ?
- Je dirais une fraternité organisée. J’en garde l’impression d’un homme de
réseau qui sait toujours quel personnage actionner. À la veille de rédiger notre
projet de contrat je l’embarque, sans le prévenir, dans un stand de tir et sors mon
S.S. 9 mm. Je l’observe. Il me dit qu’il n’a aucune pratique de l’arme de poing.
Je ne le crois qu’à moitié. On vide chacun deux chargeurs de dix-huit cartouches
sur un méchant et il se démerde bien ! Il ne me demande jamais la raison de mes
foucades. Pourtant je déconne : tu voulais parler fric ? Te voici seul en altitude
aux commandes ! Mes mini-fantaisies ne le surprennent en aucune manière. Je
n’arrive pas à lire dans son jeu mais une chose est certaine, il y a toujours un
enfant en lui. Et, chose rare, c’est un homme libre, un guerrier et un aristocrate
au sens premier et médiéval du terme. Il correspond parfaitement à ce concept
d‘acteurs forts qui se battent et mettent en jeu leurs biens et leur énergie, prennent
des risques tout en protégeant leurs troupes avec fidélité. Ses collaborateurs
l’adorent et le considèrent comme un père, j’ai l’occasion de le vérifier. C’est
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