Documents Autentiques VOL 2 Stern

11 juin 1848 Doc. 427
et entendais, je fus amené à me dire : « Malgré ces enfants et ce
qu’ils ont de désagréable, tout ce qu’ils disent, tout ce que je
vois, tout ce que j’entends, n ’est explicable que par la vérité de
leur récit. »
Dès Grenoble, on m ’avait prévenu contre l’espèce de narration
que ces enfants me feraient de ce qui leur était arrivé et de ce
qu’ils avaient vu sur la montagne. On m ’avait dit qu’ils récitaient
tout cela comme une leçon. On ajoutait, il est vrai, avec assez de
raison, qu’il fallait bien un peu les excuser à cet égard : que
depuis dix-huit mois, ils avaient fait ce récit tant de milliers de
fois, qu’on ne devait pas s’étonner qu’il fût devenu pour eux une
routine. J ’étais assez disposé à l’indulgence à cet égard, pourvu
que la routine et la récitation n ’allassent pas jusqu’au ridicule ;
mais il en arriva tout autrement. Bien que ces enfants me
déplussent extrêmement avant ce récit, et aient continué de me
déplaire après, je dois avouer que, tout en le récitant, ils le firent
l’un et l’autre avec une simplicité, une gravité, un sérieux, un
certain respect religieux, dont le contraste avec le ton toujours
vulgaire et habituellement grossier du petit garçon, avec le ton
habituellement maussade de la petite fille, me frappa trèsparticulièrement.
Je dois ajouter dès à présent que cet étonnement se renouvela
pour moi pendant ces deux jours presque constamment, surtout
avec le petit garçon, qui passa, comme je l’ai déjà dit, un jour
tout entier avec moi. Je le mis alors parfaitement à son aise ; je
lui laissai prendre toutes ses libertés : tous ses défauts, toutes ses
grossièretés m’apparurent ainsi sous toutes les formes.
Et cependant, toutes les fois que ce grossier enfant était
ramené, même de la manière la plus inattendue, à parler du grand
événement, il se faisait en lui un changement étrange, profond,
subit, instantané, et il en est de même de la petite fille. Le petit
garçon conserve ces yeux, cet extérieur si désagréables ; mais ce
qu’il y a d ’excessif dans sa grossièreté est tout-à-fait dompté. Ils
deviennent même tout à coup si graves, si sérieux ; ils prennent
comme involontairement quelque chose de si singulièrement simple
et ingénu, quelque chose même de si respectueux pour eux-mêmes
en même temps que pour ce qu’ils disent, qu’ils inspirent aussi à
ceux qui les écoutent, et [p. 49] leur imposent une sorte de crainte
religieuse pour les choses dont ils parlent, et une sorte de respect
pour leurs personnes. J ’ai éprouvé très-constamment, et quelquefois
très-vivement, ces impressions, sans cesser toutefois un moment
de les trouver des enfants très-désagréables.
Je place ici une observation qui se rapporte à ce que je viens
de remarquer : lorsqu’ils parlent du grand événement dont ils se
prétendent les témoins, ou bien qu’ils répondent aux questions
qu’on leur adresse à cette occasion, ce respect singulier pour ce
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