JOURNAL ASMAC No 3 - juin 2018

POINT DE MIRE ▶ L’ÎLE
Les îles – enfer et paradis
Un bref voyage à travers l’archipel littéraire
Les paysages entourés d’eau exercent une fascination toute particulière. Les écrivains emmènent
volontiers leurs lecteurs sur des îles désertes, car ils savent tirer le meilleur parti de ces lieux chargés
de nostalgie. Notre héros aborde-t-il l’«Ile des Bienheureux»? C’est alors une promesse d’extase.
Mais qu’il s’échoue sur un rivage hostile et c’est un monde de péril et de frayeurs qui l’attend.
L’élément aquatique réserve en soi une multitude de sensations. Il est synonyme d’aventure et
d’isolement, de crainte et d’exil.
Cornelia Meyer, curatrice d’exposition et psychanalyste, Zurich
Les naufragés ne sont pas seuls
à chercher refuge dans les îles.
Ingeborg Bachmann
Les îles sont des lieux chargés de nostalgie.
Lointaines et mystérieuses, entourées de
plages désertes, de rives brumeuses ou de
falaises ensoleillées, elles sont des ensembles
clos sur eux-mêmes et représentent
le cosmos, en tant qu’univers à
part, séparés du reste du monde. Le temps
et l’espace ont une autre signification dans
ces lieux: vivre sur une île, c’est avoir la
sensation d’échapper au quotidien. Sur
cette scène fermée, que l’on peut embrasser
du regard, peuvent se dérouler des
drames de natures bien différentes: sous
le signe de la joie et de l’aventure pour
l’un, de l’ennui et de la désolation pour
l’autre. Dans son caractère ambivalent,
l’île est proche du désir: le merveilleux
n’est jamais loin du désastre et le paradis
jamais loin de l’enfer. Voici une brève anthologie
de l’île en littérature.
Oh n’hésite pas à mettre le cap
sur ton désir
Vers les terres du midi
Les Îles des Bienheureux, le jeu
des Nymphes
Aucun navire jamais n’eut un
but si beau
Friedrich Nietzsche
La nostalgie des îles du sud
Lors des débuts du Grand Tour, au 18 e
siècle, puis avec l’essor du tourisme, les
poètes qui visitent l’Italie se mettent à magnifier
les îles du sud. Ces paysages méditerranéens
séduisent par leur aspect paisible
et bienfaisant. Alors que les îles du
nord représentent en littérature des pôles
de solitude et de découverte, les îles méridionales
évoquent la douceur de vivre. Le
Moi lyrique voudrait se dissoudre face à
ces îles, se fondre dans ce rivage heureux,
ce port accueillant où accostent de beaux
navires. Les îles du sud représentent une
existence où le temps est suspendu, sans
douleur ni menace, mais une existence
figée. Ce sont des îles de belle apparence,
des rêves d’«Archipel» idéal (Hölderlin).
Sur l’île boisée, je marchais
vers la maison de Circé et mon
cœur roulait de mille pensées
tandis que marchais .
En m’arrêtant sous le porche de
la déesse aux belles boucles,
debout là je criai et la déesse
entendit ma voix.
Homère, Odyssée, Chant 10
N o 3 juin 2018
VSAO JOURNAL ASMAC
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