JOURNAL ASMAC No 3 - juin 2018
L'île - Pneumologie/Infectiologie Rapport d'experts Diener - un cheval de Troie?
L'île -
Pneumologie/Infectiologie
Rapport d'experts Diener - un cheval de Troie?
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POINT DE MIRE ▶ L’ÎLE<br />
second au point de décider de le débarquer,<br />
en octobre 1704. Selkirk fut abandonné,<br />
seul, sur l’île Más a Tierra, avec<br />
pour toute possession: un matelas, un<br />
mousquet, un pistolet et un peu de poudre<br />
à canon, une hache, un couteau, ses instruments<br />
de navigation, une marmite,<br />
deux livres de tabac, un peu de fromage<br />
et de confiture, une bouteille de rhum et<br />
une bible.<br />
Il était persuadé de pouvoir s’en sortir et<br />
d’être tiré d’affaire sous peu, mais quatre<br />
ans et quatre mois s’écoulèrent dans une<br />
solitude terrible. La nuit, il était attaqué<br />
par les rats, la journée, il était entièrement<br />
accaparé par la tâche de trouver quelque<br />
chose à manger. Il sombra dans une profonde<br />
dépression qu’il mit plusieurs mois<br />
à surmonter, puis il se mit à apprivoiser<br />
des chèvres. Contrairement à Robinson, il<br />
ne bénéficia pas de la compagnie d’un<br />
perroquet, avec qui s’entretenir, ni d’un<br />
indigène loyal et dévoué, à qui il pouvait<br />
enseigner l’anglais. Dans son infinie solitude,<br />
il chantait des cantiques, dans l’espoir<br />
d’éviter d’oublier sa langue et de<br />
perdre la raison.<br />
Tout sauf un happy end<br />
Quand des flibustiers anglais le repérèrent,<br />
le 1 er février 1709, ils aperçurent<br />
tout d’abord un être hirsute en train de<br />
gesticuler sur la plage. Ils furent tout près<br />
de tirer sur cette apparition sauvage et<br />
malodorante, revêtue de peaux de chèvre,<br />
car ils le prirent pour une sorte de monstre<br />
d’aspect simiesque. Deux ans plus tard, le<br />
14 octobre 1711, le navire des flibustiers<br />
accosta à Londres. C’est Selkirk qui tenait<br />
la barre, car il avait été embrigadé par ses<br />
sauveurs. Son incroyable histoire se répandit<br />
rapidement et tous les journaux<br />
s’en firent l’écho. Leurs récits étaient enjolivés<br />
et hauts en couleur, parfois fantaisistes<br />
et souvent empreints de morale,<br />
comme il était d’usage à l’époque. Ainsi le<br />
destin de Selkirk montrait-il de manière<br />
magistrale «comment une existence sobre<br />
et mesurée favorise la santé du corps et la<br />
vigueur de l’esprit, lesquels sont très facilement<br />
compromis par la débauche et les<br />
excès, notamment l’abus d’eau-de-vie».<br />
A l’inverse de son alter ego Robinson, Selkirk<br />
ne devait plus jamais connaître une vie<br />
heureuse ni paisible. Il s’adonna plus que<br />
jamais à la bagarre et à la boisson et dut<br />
même fuir la justice. C’est ainsi qu’il s’engagea,<br />
en 1720, comme premier matelot<br />
à bord du HMS «Weymouth». Alors qu’il<br />
naviguait à proximité des côtes de l’Afrique<br />
de l’Ouest, il contracta une maladie tropicale.<br />
Le 13 décembre 1721, Selkirk souffrait<br />
de saignements aux yeux et au nez et<br />
le soir même, on jeta sa dépouille à la mer.<br />
L’homme qui inspira à Defoe son œuvre<br />
immortelle s’éteignit à l’âge de 45 ans. Il<br />
mourut pauvre, en laissant deux veuves,<br />
lesquelles se disputèrent sa dernière paie<br />
de marin, qui se montait à 35 livres.<br />
La vie de son pendant littéraire connut en<br />
revanche un toute autre épilogue. Marié<br />
et père de trois enfants, Robinson possédait<br />
une propriété au Brésil, ainsi qu’une<br />
île dans les Caraïbes. Il était fier de se<br />
pencher sur sa vie mouvementée, commencée<br />
de manière si folle et bien mieux<br />
terminée qu’il ne l’avait espéré.<br />
Ile environnée<br />
de mystères<br />
Le succès du livre a incité certains, déjà<br />
au 19 e siècle, à se mettre à la recherche des<br />
lieux où Robinson/Selkirk est censé avoir<br />
séjourné. Depuis 1860, une plaque désigne<br />
à l’intention des touristes sur l’île du Pacifique<br />
appelée Más a Tierra, un spectaculaire<br />
point de vue baptisé «la vue de<br />
Robinson». Lors de l’Exposition universelle<br />
de 1893 à Chicago, un squelette de<br />
chèvre fut présenté comme un objet-témoin<br />
«trouvé dans la caverne de Robinson<br />
Crusoé».<br />
Les espoirs du Gouvernement chilien de<br />
tirer parti de cette île oubliée pour lancer<br />
une sorte de tourisme local sur le thème<br />
de Robinson et de procurer ainsi un revenu<br />
à ses 650 habitants ne se sont pas<br />
concrétisés. Quelques rares touristes entreprennent<br />
en été le vol périlleux qui<br />
permet de rejoindre l’île. La courte piste<br />
d’atterrissage s’interrompt brusquement<br />
de part et d’autre par une falaise qui<br />
tombe à pic dans la mer. De plus, les vents<br />
turbulents peuvent compliquer l’atterrissage:<br />
on est forcé d’atterrir quasiment à la<br />
verticale, à la façon d’un hélicoptère. Les<br />
habitants mènent d’ordinaire une vie plutôt<br />
contemplative, quand elle n’est pas<br />
perturbée par les vagues. Car elles peuvent<br />
pénétrer les terres et il arrive qu’elles détruisent<br />
l’unique localité de San Juan<br />
Bautista, comme c’est arrivé en 2010.<br />
Deux douzaines d’autos rouillées se partagent<br />
une piste cahoteuse, longue de<br />
quelques mètres. L’île escarpée et quasi<br />
inaccessible ne se parcourt qu’en voiture<br />
tout-terrain. Les habitants vivent de la<br />
pêche de poisson et de langoustes et travaillent<br />
pour les autorités chiliennes de<br />
protection de l’environnement. Ils s’attachent<br />
à lutter contre les plantes invasives<br />
et à réintroduire les espèces locales. L’un<br />
des principaux employeurs est un original<br />
venu de Chicago. Depuis 1998, cet américain<br />
multimillionnaire, nommé Bernard<br />
Keiser, fait creuser l’île dans l’espoir de<br />
dénicher un trésor. Une légende prétend<br />
en effet qu’un trésor est enterré sous la<br />
Bahia Ingles. Quand il est fatigué de creuser,<br />
Keiser se fait un café et s’accorde une<br />
petite sieste, dans la célèbre caverne où ni<br />
Robinson, ni Selkirk n’ont sans doute jamais<br />
séjourné. La petite île du bout du<br />
monde garde bien ses secrets. A quand un<br />
nouvel inventeur de génie, comme Daniel<br />
Defoe, pour nous raconter ce qui s’est réellement<br />
passé?<br />
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34 VSAO <strong>JOURNAL</strong> <strong>ASMAC</strong> N o 3 <strong>juin</strong> <strong>2018</strong>