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Du grand brûlé koala à la belle Gëlle Fra
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108 LG
EDITION EDITION SPÉCIALE SPÉCIALE - BEST OF LG 226 - SEPTEMBRE 2019
LG
108
Au service de l’intérêt général
PAR JULIEN BRUN
PORTRAITS
De nombreux pays occidentaux souffrent d’une perte de confiance envers la science. Si certains
confondent l’égalité des droits avec l’équivalence des compétences, d’autres préfèrent croire
plutôt que savoir. Si ce chamanisme contemporain est parfois porté aux plus hautes instances
du pouvoir, le Luxembourg semble bien heureusement préservé et témoigne de la confiance
en ses institutions académiques. Rencontre avec la directrice du LISER (Luxembourg Institute
of Socio-Economic Research); portrait d’Aline Muller.
Le doctorat ou le graal initiatique
Est-il possible de consacrer cinq années à
l’étude d’un sujet et à la rédaction d’une
thèse sans passion? Pour Aline Muller, «le
doctorat est une aventure tant scientifique
qu’humaine» qui oscille entre la lumineuse
frénésie intellectuelle et la féconde lenteur
de la recherche. Toute la complexité du
travail scientifique réside dans la tension
qui régit ces deux pôles où rien n’est défini
par avance. Chanceuse d’avoir davantage
côtoyé les cimes que les abîmes, elle préfère
les superviseurs qui laissent une certaine
marge de manœuvre à leur doctorant.
Cette liberté, nécessaire au cheminement
vers l’indépendance, a un prix: «celui des
détours enchanteurs».
Plongeant dans ses propres souvenirs, elle
confesse s’être lancée avec l’insouciance
d’aucune ambition carriériste. Empruntant
ce chemin initiatique qui renseigne tant
sur le soi professionnel que sur l’être
intime, l’acharnée de travail sait qu’elle
peut compter sur sa capacité à mobiliser
ses forces lorsqu’il le faut. À l’époque de ses
études, cette robustesse favorise moins la
constance que les pics de labeur et le reste
de l’année, la vie estudiantine était douce...
Autant de forces et de faiblesses qu’il aura
fallu apprendre à dompter.
Genèse d’une curiosité
Un environnement familial favorable, un
professeur influenceur d’éternité ou un livre
nonchalamment pioché dans le rayonnage
d’une bibliothèque et la nature curieuse de
l’enfance s’embrase à la moindre étincelle
du savoir. La jeune fille, attirée par le débat
d’idées sur les questions philosophiques,
cherche très tôt à confronter les siennes.
Les pensées se nourrissent de l’altérité,
se cultivent de champs divergents et se
récoltent de nouvelles perspectives.
Si penser seul, c’est presque toujours penser
comme tout le monde alors seule l’altérité
forge une réelle autonomie de raisonnement
et permet de penser par soi-même.
L’excellente élève aux examens n’est pas
toujours la plus sage en classe. L’autorité
parentale porte un regard attentif sur les
résultats mais ferme les yeux sur la manière
de les obtenir et le «débrouille toi pour
réussir», glissé de temps à autre pour
l’encourager est interprété comme «tu peux
être turbulente tant que tu as de bonnes
notes».
“Analyser un
sujet, mobiliser
un raisonnement
et construire une
argumentation”
L’intérêt pour la chose publique éclot
naturellement dans la conscience lycéenne
et plus précisément pour les concepts
fondamentaux sous-jacents comme la
liberté: quelles sont les limites de la
liberté individuelle au sein d’une société
démocratique, quand commence la
confrontation avec l’intérêt général, où sont
les justes mesures? L’adolescente du Lycée
de Garçons d’Esch-sur-Alzette aurait donc
pu choisir philo mais sa bosse des maths
lui assurait de très bons résultats avec un
minimum d’investissement. Bac en poche
en 1992, elle suit une classe préparatoire
en mathématiques fait un MBA (Master’s
Degree in Business Administration) à
l’Université de Liège avant de se lancer dans
un doctorat de 2000 à 2005 à l’Université
de Maastricht.
«La Finance est un moteur fondamental de
l’économie, il joue le rôle d’intermédiaire
du développement économique et son
étude permet de mieux comprendre le
fonctionnement de l’activité économique
des entreprises». Le département Finance
est alors en plein essor et se compose
d’une bande de copains qui veulent
décrocher les étoiles. «Des poissons dans
l’eau» bénéficiant d’un bain intellectuel
international et bercés d’une certaine
insouciance; «nous marchions pieds-nus
dans les couloirs sans savoir de quoi demain
serait fait», sourit-elle. L’ambiance bobobabacool
reste néanmoins studieuse et
la focalisation sur l’internationalisation
des travaux lui impose de s’envoler pour
les Etats-Unis dès sa première année de
doctorat. «Il fallait se confronter au plus
vite aux autres scientifiques et parfois à
des idées à l’opposé des miennes. Jeune et
inexpérimenté, on se fait parfois ratatiner
mais on apprend à se défendre», expliquet-elle.
Un tempérament
Dans l’articulation des carrières, il arrive
que l’intérêt particulier se substitue à
l’intérêt collectif et la morale douteuse
devient inacceptable dès lors qu’on refuse
la transparence. La jeune doctorante se
faisait une très haute idée des institutions
de recherche publique qu’elle considérait
comme des sanctuaires indemnes de toute
compromission. La déception était d’autant
plus grande lorsqu’elle constatait qu’une
partie de l’environnement académique
tolérait ces comportements. La passion
du bien public ne saurait à elle seule
désarmer ces mécanismes de stratégies
individuelles. Si elle se veut désormais un
peu plus patiente, usant de persévérance
et de détermination dans le dialogue, elle
n’en reste pas moins un fervent défenseur
de l’intégrité.