103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

Jean-Christophe Valtat
Jarry le compte rendu par Ted Oxborrow de la course des dix mille milles.
Dans un contexte où le sport, et plus particulièrement le cyclisme, constitue
— comme aujourd'hui — un des laboratoires privilégiés de la résistance
humaine à la fatigue, on ne compte plus en effet les témoignages de coureurs
et de médecins sur les records de vitesse et d'endurance. On peut citer ici les
noms de Perrodil et son Douze heures sur piste de 1891 qui décrit heure par
heure ses sensations, la lettre de Huret sur le Bol d'Or en 1894, ceux de Mills
ou de Terront. Tissié rapporte avec minutie ces témoignages et les complète
par ses propres observations médicales, en insistant particulièrement sur
l'aspect psychologique de ces exploits et leur schéma inexorable :
« Le coureur éprouve d'abord un grand ennui, puis il peut être atteint
d'amnésie, à laquelle succèdent des hallucinations, du dédoublement de
la personnalité, un don de suggestibilité très accentué, le tout édifié sur
un état d'automatisme. L'ennui domine la scène ; il est caractéristique de la
fatigue poussée à l'excès sous le nom de vanage 2*. »
Mais cet état de « vanage » halluciné, accompagné de ritournelles, typique
de ce que décrit Oxborrow, qui caractérise la perte de conscience du coureur
réduit à un pur automatisme, est aussi ce qui permet le dépassement des forces
physiques. Tissié lie d'une part cet état d'automatisme à la spécificité de
la bicyclette qui par « sa mise en fonction automatique d'un grand nombre
de muscles » aide à la « suppression de l'attention en faveur d'associations de
mémoires représentatives et nombreuses » 24 et d'autre part en fait la condition
même de l'entraînement du sportif puisque, selon lui, « l'entraînement
n'est autre chose qu'une suggestion donnée à l'état de veille ; toute la tactique
tend à transformer le sujet en automate » 2\ Dans les conditions extrêmes où
le coureur entraîné fatigue et rentre en résonance avec sa machine, on obtient
donc un sujet entièrement mécanisé qui peut refaire indéfiniment le « même
acte », au point même de ne plus pouvoir s'arrêter de le faire. Tissié donne
ainsi l'exemple de ces coureurs qui descendus de leur machine s'effondrent,
mais qui, remis en selle, continuent à pédaler, tels le fameux Terront qui après
une course de 1000 kilomètres sur piste ayant duré quarante deux-heures
« affirme qu'il couvrirait encore cent kilomètres pourvu qu'on le remette en
selle » 2i' : il n'y a pas jusqu'au cadavre de Jewey Jacobs qui ne puisse ainsi
pédaler post mortem. Là encore la victoire du surmâle dans la course des
dix mille milles, si elle semble d'abord s'opposer explicitement au modèle de
23. Idem, p. 46.
24. Ibid., p. 69
25. Ibid., p. 56-57.
26. Ibid., p.63.
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